Temps de trajet : la CJUE va-t-elle bousculer nos règles ?
Le temps de déplacement entre le domicile et le lieu d’exécution du travail n’est pas un temps de travail effectif, il n’a pas à être rémunéré ni indemnisé (sauf mesures favorables à l’environnement qui obligent à une prise en charge partielle des transports en commun et, depuis peu, du déplacement en vélo).
En cas de déplacement dans un lieu de travail inhabituel, le temps de déplacement donne lieu à une contrepartie, financière ou sous forme de repos, lorsqu’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel du travail (C. trav., art. L. 3121-4).
Ces dispositions sont issues de la loi de programmation sociale du 18 janvier 2005 et ont mis fin à la jurisprudence de la Cour de cassation qui, depuis 2003, considérait que le temps de trajet dépassant la durée habituelle du déplacement domicile/lieu de travail devait être considéré comme du temps de travail effectif.
Le droit français ne prend pas en compte le cas spécifique du salarié itinérant, c’est-à-dire, lorsque le salarié n’a pas de lieu habituel d’exécution du travail (commerciaux, salariés chargés de maintenance ou d’installation de produits chez des clients, formateurs itinérants…).
La jurisprudence applique le principe posé par la loi et se livre donc à une approximation de ce que serait un temps de trajet normal pour un salarié de la région (merci les statistiques de l’INSEE) pour en déduire la part de « déplacement inhabituel » et décider de l’octroi ou non d’une contrepartie financière ou en repos pour indemniser ce temps de dépassement (Cass. soc., 14 nov. 2012, n° 11-18.571 ; cass. Soc. 25 mars 2015 n°13-21.519).
Un arrêt récent de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pourrait bien modifier à terme la comptabilisation des temps de trajet des salariés itinérants.
En effet, interprétant l’article 2 de la directive 2003/88/CE, la CJUE pose le principe que « Les déplacements que les travailleurs sans lieu de travail fixe ou habituel effectuent entre leur domicile et les sites du premier et du dernier client de la journée constituent du temps de travail (CJUE, 10 septembre 2015, aff. C-266/14 Federación de Servicios Privados del sindicato Comisiones obreras).
Elle considère en effet que les travailleurs, lors des déplacements « domicile/clients » sont dans l’exercice de leur fonction : ils restent durant le temps de trajet à la disposition de leur employeur qui peut modifier l’ordre de visite des clients, or leurs fonctions englobent nécessairement l’obligation de se rendre chez le client pour effectuer la prestation. Ces déplacements répondent donc à la définition du temps de travail effectif posée par l’article 2 de la directive.
Décision à contrepied des dispositions de droit français. Il revient donc à l’Etat français de modifier en conséquence sa législation afin de se mettre en conformité avec le droit européen, tel qu’interprété par la CJUE. Dans cette attente, la jurisprudence ne pourra pas faire autrement que d’appliquer la loi française, qui est claire sur la qualification du temps de trajet domicile/lieu de travail, qui ne peut donner lieu lorsque le lieu de travail n’est pas habituel qu’à des contreparties, sans pouvoir être imputée sur le temps de travail.
Malgré tout, les employeurs doivent s’attendre à la modification prochaine de la législation applicable pour les trajets des commerciaux itinérants.