Covid-19 : du rififi à l’horizon pour l’imposition des jours de RTT … !
L’article 2 de l’ordonnance du 25 mars 2020 (n°2020-323), prise en application de la loi d’urgence pour faire face à la pandémie, autorise l’employeur à imposer au salarié de prendre ou de modifier ses RTT, ses journées ou demi-journées de forfait jours ainsi que les jours déposés sur le compte épargne temps. Cette faculté lui est offerte dans la limite de 10 jours (RTT et jours CET confondus).
Le texte précise que cette possibilité est donnée « lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid-19 ».
La cour d’appel de Paris vient de rendre un arrêt où elle fait une interprétation stricte de cette précision, et considère que l’employeur n’est légitime à utiliser cette dérogation que lorsqu’il peut justifier de telles difficultés économiques.
En première instance, le tribunal judiciaire avait validé la pratique, sans que l’employeur ait à démontrer des difficultés économiques, en interprétant le texte de l’ordonnance à la lumière de la loi d’urgence du 23 mars 2020 prévoyant que le gouvernement pouvait, par ordonnance, prendre des mesures dérogatoires « pour faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation ».
Dans l’affaire en question, l’employeur justifiait l’imposition de prise de RTT ou de jours de CET par la nécessité d’adapter son organisation, face à une augmentation inattendue de l’absentéisme tenant au fait qu’une partie de ses collaborateurs se trouvaient à leur domicile sans pouvoir exercer leur activité en télétravail, mais aussi par la nécessité d’aménager les espaces de travail et d’adapter le taux d’occupation des locaux en raison des conditions sanitaires.
Pour la cour d’appel, la mise en œuvre de ces mesures dérogatoires sans justification de difficultés économiques liées à l’épidémie est un trouble manifestement illicite. La position rigide des juges d’appel ne prend pas en ligne de compte le marasme organisationnel dans lequel les entreprises se sont trouvées plongées du jour au lendemain et ses conséquences.
Toutefois, les arguments de texte sont à souligner :
- l’article 1 de l’ordonnance autorise l’employeur, sous réserve d’un accord d’entreprise ou de branche, à modifier la date de prise de congés payés ou bien de fractionner ces derniers dans la limite d’une semaine de congés et en respectant un préavis d’un jour franc… « afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19 »,
- l’article 2 autorise l’imposition de jours de repos ou jours de RTT, dans la limite de 10 jours… sans accord collectif mais « lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid-19 ».
Peut-on considérer que le gouvernement a entendu circonscrire cette deuxième dérogation à un champ plus restreint dans la mesure où l’employeur peut prendre la décision sans l’intervention des représentants du personnel ?
L’arrêt de la cour d’appel de Paris fait l’objet d’un pourvoi. La position de la Cour de cassation est impatiemment attendue, et notamment par les nombreuses entreprises qui ont mis en œuvre ces dispositions dérogatoires.
CA de Paris, Pôle 6, Chambre 2, 1 avril 2021, nº 20/12215