Discrimination et « droit à la preuve »
L’article 145 du code civil permet d’obtenir en référé, avant d’engager une action au fond, la communication de documents « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige ».
La cour d’appel de Versailles a estimé que, en matière de discrimination, le mode probatoire aménagé ne permettait pas l’action fondée sur l’article 145 du code civil.
En effet, en matière de discrimination, les règles de preuves ont été aménagées à l’avantage du salarié : ce dernier présente des éléments de faits permettant de supposer l’existence d’une discrimination, et il revient à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination.
En l’espèce, un salarié s’estimant victime de discrimination syndicale demandait en référé la communication par l’employeur, sous astreinte, de nombreux documents lui permettant de comparer sa situation avec d’autres salariés. Il demandait notamment un extrait du registre du personnel, correspondant à sa date d’embauche et mentionnant les noms, prénoms, sexes et date d’entrée des salariés embauchés la même année ou à deux ans près et dans la même catégorie que lui, avec la mise à jour des dates de changement d’emploi et qualification, leurs bulletins de paie de chaque année, salaires nets imposables, formations suivies ainsi que leurs dates, leurs fiches d’évolution… le tout dans un tableau récapitulatif élaboré par l’employeur.
La cour d’appel de Versailles rejette sa requête, estimant que les règles probatoires spécifiques rendaient inutile la production des documents sollicités et donc la demande du salarié n’apparaissait pas justifiée par un motif légitime.
La Cour de cassation casse l’arrêt en rappelant que « la procédure prévue par l’article 145 du code de procédure civile ne peut être écartée en matière de discrimination au motif de l’existence d’un mécanisme probatoire spécifique ».
Elle rappelle également le rôle du juge en la matière. Le juge devait « rechercher, d’abord, si la communication des pièces demandées par le salarié n’était pas nécessaire à l’exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi et ensuite, si les éléments dont la communication était demandée étaient de nature à porter atteinte à la vie personnelle d’autres salariés », puis « vérifier quelles mesures étaient indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitées ».
Notons que nous retrouvons ici l’évolution de la Cour de cassation en matière de « droit à la preuve » qui peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la double condition de nécessité et de proportionnalité (cf.http://daempartners.com/eclairage/facebook-linteret-legitime-de-lemployeur-entre-en-jeu/).
Cass. soc., 22 septembre 2021, nº 19-26.144 F-B