Expertise CHSCT : le ressenti des salariés permet d’attester de la gravité du risque…
Le code du travail autorise le CHSCT à faire procéder à des expertises dans certains domaines, notamment lorsqu’un risque grave est constaté dans un établissement (article L. 4614-12 ancien du code du travail).
Cette capacité est aujourd’hui reconnue au CSE, au titre de l’article L. 2315-94 du code du travail : « Lorsqu’un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement ».
La loi d’habilitation du 29 mars 2018 a ainsi repris les exigences jurisprudentielles du caractère « identifié et actuel » du risque pour ouvrir le droit à l’expertise.
Le contentieux sur la notion de « danger grave » est important dans la mesure où celle de « risque identifié et actuel » n’est pas facile à appréhender, malgré la clarté de son énonciation…
En effet, le propre du risque est d’être potentiel et sa gravité sera fonction des possibilités de préjudices sérieux… à évaluer !
La légitimité du recours à expertise est souvent débattue devant le juge en matière de risque psychosocial.
Le caractère identifié et actuel est alors examiné au regard d’indices objectifs tels que le nombre important d’arrêts maladie, de syndromes dépressifs, des comportements harcelants constatés, une augmentation inquiétante des heures supplémentaires témoignant d’une charge de travail trop lourde, etc. (cf. Cass. soc., 26 janv. 2012, n° 10-12.183 ; Cass. soc., 25 oct. 2017, n° 16-15.265).
Le témoignage du médecin du travail ou des représentants du personnel sont souvent des éléments importants dans la caractérisation du risque.
En revanche, faire état d’un risque de stress lié à plusieurs réorganisations mises en œuvre dans l’entreprise ne permet pas d’identifier un risque grave autorisant le CHSCT à recourir à une expertise (Cass. soc. 14 novembre 2013, n°12-15.206).
Il faut ainsi des éléments factuels permettant de caractériser le risque.
Un arrêt récent de la Cour de cassation admet que des attestations et courriels de salariés sont suffisants pour caractériser un risque grave (Cass. soc. 13 février 2019, n°17-15.530).
En l’espèce, une partie de l’activité de soutien et support d’une entremise est transférée vers une filiale. Une première expertise pour projet important est décidée par l’instance de coordination des CHSCT. Puis le CHSCT de l’établissement accueillant les salariés transférés décide de recourir à une expertise pour risque grave.
Le recours à l’expertise est contesté par l’employeur, et le CHSCT fait valoir, devant le juge, l’existence du risque psychosocial sur la base d’attestations et d’échanges d’emails de salariés révélant leur mal-être.
La Cour de cassation estime que ces éléments, retraçant le ressenti des salariés, sont suffisants pour caractériser un risque identifié et actuel.
Il est certain que stress et risques psychosociaux font intervenir le ressenti de la collectivité de travail, et que si la réalisation d’un risque peut être évitée, il faut alors se saisir de la question le plus en amont possible, sans attendre les arrêts de travail, crises de nerfs et autres syndromes dépressifs.
Par ailleurs, la Haute juridiction estime que l’existence de rapports d’expertises antérieurs diligentés par l’instance de coordination des CHSCT abordant notamment les risques psychosociaux liés aux transferts des salariés ne prive pas le CHSCT concerné de recourir à sa propre expertise.
La multiplicité des expertises permet-elle plus d’efficacité dans la prévention du risque ? La réponse n’est pas sûre…
I. Mathieu