Quand des manquements anciens et persistants justifient une prise d’acte
Aux termes d’une jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation, la prise d’acte d’un contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sous réserve que les manquements de l’employeur soient suffisamment graves pour empêcher la poursuite de la relation de travail, ce qui a pour conséquence d’exclure des manquements anciens (Cass. Soc., 26 mars 2014 n°12-23.634).
Ainsi, le temps écoulé entre le manquement et la prise d’acte est pris en compte dans l’appréciation de la gravité des faits.
Dès lors, il importe que le salarié soit réactif pour que sa prise d’acte puisse être prononcée aux torts de l’employeur.
Toutefois, la Cour de cassation est venue atténuer la portée de cette décision en considérant que l’absence de réaction d’un salarié pendant une certaine durée aux agissements de son employeur ne faisait pas nécessairement produire les effets d’une démission. La Haute Juridiction rappelait à cette occasion qu’il incombait aux juges du fond d’apprécier la réalité et la gravité des manquements pour déterminer s’ils étaient suffisants pour empêcher la poursuite du contrat de travail (Cass. Soc., 19 décembre 2018 n°16-20.522).
Autrement dit, l’ancienneté des manquements n’entraîne pas ipso facto la qualification de la prise d’acte en démission.
Récemment encore, la Cour de cassation est venue confirmer cette décision en faisant produire à une prise d’acte les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse : « la cour d’appel, qui a constaté que le salarié avait été l’objet depuis 1992 d’actes d’intimidation, d’humiliations, de menaces, d’une surcharge de travail et d’une dégradation de ses conditions de travail, de nature à affecter sa santé, constitutifs de harcèlement moral l’ayant conduit à l’épuisement et à l’obligation de demander sa mise à la retraite, ainsi que d’une discrimination syndicale dans l’évolution de sa carrière et de sa rémunération, a pu décider que la persistance de ces manquements rendait impossible la poursuite du contrat de travail » (Cass. Soc., 15 janvier 2020 n°18-23.417).
Aux termes de cet arrêt, des manquements anciens et persistants de l’employeur pendant plusieurs années à l’égard de ses salariés constituent un critère de gravité supplémentaire de la faute de l’employeur pouvant justifier la rupture du contrat de travail à ses torts.
Il en résulte que, désormais, tant les employeurs que les salariés peuvent se prévaloir d’une faute répétée dans le temps par leur cocontractant pour solliciter la rupture de leur contrat de travail (jurisprudence auparavant réservée à l’employeur Cass. Soc., 13 janvier 2004 n°01-46.592 ; Cass. Soc., 30 septembre 2004 n°02-44.030 et Cass. Soc., 22 septembre 2011 n°09-72.876).
Cass. Soc., 15 janvier 2020 n°18-23.417
M. Bouysses/C. Candon