Consultation sur les orientations stratégiques et projet de cession… le désaccord des juges
Depuis la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, le CE (désormais le CSE) doit être consulté sur les orientations stratégiques de l’entreprise, définies par l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance de l’entreprise, et sur leurs conséquences sur l’activité, l’emploi, l’évolution des métiers et des compétences, l’organisation du travail, le recours à la sous-traitance, à l’intérim, à des contrats temporaires et à des stages (article L. 2312-24 du code du travail).
Les organes dirigeants de l’entreprise doivent donc formaliser la stratégie à court et moyen terme, et la partager avec les représentants du personnel notamment en détaillant les conséquences envisageables de cette stratégie en termes d’emploi et de conditions de travail.
Par ailleurs, lorsque l’employeur met en œuvre un PSE, il est également tenu de consulter son CSE, non seulement sur le motif économique du projet de licenciement mais également sur la mise en œuvre de ce projet.
La question de l’articulation des deux procédures de consultation fait l’objet d’un débat juridique que n’est pas sans rappeler la controverse ayant entouré l’articulation des consultations PSE/GPEC.
Contrairement à ce que décident les TGI, Cour d’appel de Paris et Cour d’appel de Versailles, le TGI de Nanterre persiste et considère que la procédure de consultation sur les orientations stratégiques est un préalable à la mise en œuvre d’un PSE.
Les juges de Nanterre ont précédemment considéré que les deux consultations ne sont pas indépendantes, le PSE est une mesure d’application de la stratégie définie par la direction. Ainsi, la procédure de consultation du CE sur le PSE doit être suspendue jusqu’à ce que la consultation sur les orientations stratégiques soit organisée et finalisée (TGI Nanterre, référé, 28 mai 2018 n°10/01187).
Quelques jours plus tard, ce même TGI décidait à nouveau de suspendre la procédure de consultation relative au PSE, cette fois dans l’attente de l’aboutissement de la consultation sur les orientations stratégiques organisée concomitamment (TGI Nanterre, référé, 30 mai 2018, nº 18/00552).
A nouveau, le TGI de Nanterre ordonne la suspension de la consultation du CSE jusqu’à l’ouverture de la consultation sur les orientations stratégiques de l’année en cours.
En l’espèce, un projet de cession d’une activité est présenté au CSE en février 2019, alors qu’il n’avait pas été envisagé lors de la consultation sur les orientations stratégiques de l’année 2018 ; les juges du fond considèrent que cette cession représente une modification importante de la stratégie, qui exige en conséquence une nouvelle consultation sur les orientations stratégiques pour l’année 2019, avant de pouvoir reprendre l’information consultation sur le projet de cession (TGI Nanterre, 11 juillet 2019, n°19/02211).
Pourtant, la Cour d’appel de Versailles, statuant sur la décision du 30 mai 2018, avait clairement décliné la compétence du juge judiciaire sur le contenu et la procédure d’élaboration du PSE, qui relève du bloc de compétence du juge administratif. Il n’entre donc pas dans le pouvoir du juge judiciaire d’en suspendre le processus (CA Versailles, 14èmech. 12 juill. 2018, no18/04069).
La Cour d’appel de Paris s’est également prononcée en faveur de l’indépendance des deux procédures lors d’une affaire où un projet ponctuel de réorganisation n’avait pas été évoqué lors de la consultation annuelle sur les orientations stratégiques organisée quelques mois auparavant. Selon la Cour d’appel, « En présence d’un projet ponctuel, l’employeur n’est pas tenu d’attendre l’échéance d’une des trois consultations annuelles obligatoires ni d’anticiper la consultation par rapport à sa périodicité habituelle ou conventionnelle ou de la réitérer si celle-ci a eu lieu.Il n’est pas prévu de primauté ou même de hiérarchisation non seulement entre les différentes consultations mais encore avec celle qui doit être mise en œuvre à l’occasion d’un projet ponctuel, lequel doit de toute façon faire l’objet d’une consultation immédiate du comité d’entreprise (CA Paris, 3 mis 2018 n°17/09307).
Notons que les juges prennent également le soin de souligner en l’espèce, qu’il n’était pas démontré que la société avait dissimulé la nouvelle stratégie, le projet ponctuel mis en œuvre n’étant à l’époque de la consultation sur les orientations stratégiques qu’à l’état de réflexions non structurées.
Dans l’attente de la position de la Cour de cassation lorsqu’il lui appartiendra de trancher ces divergences, la sécurisation voulue par la loi du 14 juin 2013 n’est pas acquise…