Coup d’arrêt sur la présomption de justification des différences de traitement conventionnelles
La présomption de justification des différences de traitement instituées par voie conventionnelle vient de connaître un coup d’arrêt motivé par la prise en compte du droit européen.
Initiée par une salve d’arrêts du 27 janvier 2015 en matière de différence de traitement entre catégories professionnelles, la présomption de justification des différences de traitement instituée par accord collectif a été étendue aux différences de traitement :
- entre salariés exerçant, au sein d’une même catégorie professionnelle, des fonctions distinctes, opérées par voie de convention ou d’accord collectif (Soc., 8 juin 2016, pourvois n° 15-11.324),
- entre salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts, opérées par voie d’accord d’établissement (Soc., 3 novembre 2016, pourvoi n° 15-18.444),
- entre salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts, opérées par voie d’accord d’entreprise (Soc., 4 octobre 2017, pourvoi n° 16-17.517),
- entre salariés appartenant à la même entreprise de nettoyage mais affectés à des sites ou des établissements distincts, opérées par voie d’accord collectif (Soc., 30 mai 2018, pourvoi n° 17-12.925).
La reconnaissance d’une telle présomption était sous tendue par la nouvelle légitimité acquise par les négociateurs sociaux.
Ainsi que l’explique la Cour de cassation : « dans la mesure où elles sont opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, la Cour a été conduite à reconnaître que certaines catégories de différences de traitement sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle. »
Il était donc possible d’envisager une reconnaissance d’une présomption générale de justification des différences de traitement opérées par voie d’accord collectif…la question pouvait se poser légitimement.
La Cour de cassation y répond clairement dans un arrêt rendu en formation plénière du 3 avril 2019 destiné à une large publication (Cass. Soc. 3 avril 2019 n°17-11.970 FP-PBRI).
En l’espèce, à la suite d’un regroupement de deux sites, un accord d’entreprise organisant différentes aides à la mobilité est signé, et réserve son application aux seuls salariés présents sur les sites en question à la date du 1er juin 2011. Une salariée affectée postérieurement à cette date sur l’un des sites destinés au regroupement ne bénéficie pas, contrairement à ses collègues, des mesures favorables mise en place par l’accord collectif.
Elle saisit la juridiction prud’homale afin de faire reconnaitre la violation du principe d’égalité de traitement.
La Cour d’appel écarte la présomption de justification, « s’agissant d’une différencede traitement fondéesur la date de présencesur le site et non sur l’appartenance à une catégorie professionnelle ou sur une différence de fonctions au sein d’une telle catégorie ».
En l’absence de justification objective fournie par l’employeur, les juges admettent la violation du principe d’égalité de traitement.
L’employeur forme un pourvoi devant la Cour de cassation en se fondant sur l’existence d’une présomption générale de justification des différences de traitement opérées par voie d’accord collectif.
La Cour de cassation écarte cette généralisation, contraire au droit de l’Union européenne :
En effet, le principe d’égalité de traitement est un principe général du droit de l’union européenne, qui met en œuvre un mécanisme probatoire favorable au salarié : il appartient au salarié d’établir des faits qui laissent présumer l’existence d’une discrimination, directe ou indirecte, il incombe alors à l’employeur, défendeur, de prouver que « ladifférence de traitement est justifiée par un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire lorsqu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la réglementation en cause, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné (CJUE, arrêt du 9 mars 2017, Milkova, C-406/15) »,
Pour la CJUE, un accord collectif ne peut pas être une « raison objective » justifiant en soi une différence de traitement (CJUE 13 septembre 2007, Del Cerro Alonso (C-307/05)).
En conséquence, la Cour de cassation considère que la reconnaissance d’une présomption générale de justification de toutes différences de traitement entre les salariés, opérées par voie de d’accords collectifs, faisant peser ainsi la charge de la preuve sur le demandeur serait, dans les domaines où est mis en œuvre le droit de l’Union, contraire à ce dernier.
Ainsi, comme l’indique la note explicative de l’arrêt, la présomption de justification perdure dans les cas déjà reconnus par la jurisprudence de la Cour de cassation (cf. supra), et « en présence d’autres différences de traitement, établies par le salarié, il appartient à l’employeur de justifier de raisons objectives dont le juge contrôle concrètement la réalité et la pertinence ».
En conclusion, non seulement la généralisation de la présomption est exclue, mais il semble qu’elle risque d’être confinée aux cas déjà réglés par la Cour de cassation. Une vigilance particulière est ainsi requise lors de la rédaction des accords collectifs.