Facebook, l’intérêt légitime de l’employeur entre en jeu…
Jusqu’à présent, la possibilité de présenter des informations issues du « mur » Facebook d’un salarié à titre de preuve dépend principalement des paramétrages de confidentialité mis en place par le titulaire du compte.
Ainsi, lorsque le paramétrage de l’accès au compte Facebook est fermé (réservé aux seuls « amis ») les salariés sont dans un cadre privé et donc protégés par le principe de secret des correspondances. Le « mur » Facebook ne peut alors être utilisé comme moyen de preuve.
L’employeur porte également une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée d’un salarié s’il utilise des informations recueillies sur son profil Facebook, obtenues via le portable professionnel d’un autre salarié (Cass. soc. 20 décembre 2017 n°16-19.609).
La protection ne tombe que si le titulaire du compte a ouvert l’accès de ce dernier aux amis des amis. Le compte devient alors accessible à un nombre incalculable de personnes, les propos tenus relèvent de la sphère publique et la protection ne joue plus.
Un arrêt récent de la Cour de cassation vient mettre un bémol important sur la protection accordée aux propos tenus sur un compte Facebook fermé, donc relevant de la sphère privée.
En l’espèce une salariée, chef de projet de la société Petit Bateau publie sur son compte Facebook une photographie des vêtements de la nouvelle collection, présentée jusque-là exclusivement aux commerciaux de la société. L’employeur la licencie pour faute grave, lui reprochant un manquement à son obligation de confidentialité.
La salariée conteste son licenciement en s’appuyant sur le mode de preuve illicite : l’employeur ne pouvait accéder aux informations extraites du compte Facebook privé, notamment via le compte Facebook d’une salariée « amie » (procédé déloyal selon la jurisprudence du 20 décembre 2017 précitée).
La Cour de cassation évacue l’argument du procédé déloyal : la salariée « amie » a spontanément communiqué la publication litigieuse à son employeur, par courriel. Ainsi, aucun procédé déloyal n’a été mis en œuvre pour prendre connaissance de la photo litigieuse. A bon entendeur…
Toutefois, le procédé n’est pas déloyal en lui-même, mais l’employeur a porté atteinte à la vie privée de la salariée en utilisant ce mode de preuve :« la production en justice par l’employeur d’une photographie extraite du compte privé Facebook de la salariée, auquel il n’était pas autorisé à accéder, et d’éléments d’identification des « amis » professionnels de la mode destinataires de cette publication, constituait une atteinte à la vie privée de la salariée. »
Certes donc, il y a atteinte à la vie privée.
Pour prendre sa décision, la haute juridiction se fonde sur l’article 6 de la CEDH (droit à un procès équitable dont le droit à la preuve est un élément) et sur l’article 8 (droit au respect de la vie privée). En l’espèce, les deux droits fondements se percutent, et le conflit doit être résolu par le principe de proportionnalité : « le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi. »
La Cour de cassation constate que la production par l’employeur de ces éléments était indispensable à l’exercice de son droit à la preuve, et l’atteinte proportionnée à la défense de son « intérêt légitime à la confidentialité de ses affaires ».
Ainsi, le mur de la sphère privée été franchi en cas d’atteinte aux intérêts légitimes de l’employeur, sous condition de proportionnalité.
L’arrêt est estampillé FS-P+B+R+I, autant dire que la Haute juridiction entend donner de la résonnance à cette inflexion de sa jurisprudence, la brèche est donc avérée.
Cass. soc. 30 septembre 2020 n°19-12.058