Heures supplémentaires et congés payés, la CJUE bouscule le droit français…

Dans un arrêt du 13 janvier 2022, la Cour de justice décide que l’article 7 § 1 de la directive 2003/88 s’oppose à une disposition d’une convention collective en vertu de laquelle, afin de déterminer si le seuil des heures travaillées donnant droit à majoration pour heures supplémentaires est atteint, les heures correspondant à la période de congé annuel payé pris par le travailleur ne sont pas prises en compte en tant qu’heures de travail accomplies.

Ainsi, pour la CJUE, les périodes de congés payés doivent être considérées comme du travail effectif au regard du seuil de déclenchement des heures supplémentaires… ce qui n’est pas le cas en France.

En l’espèce, un salarié intérimaire en Allemagne prend 10 jours de congés payés (équivalent à 84,7 heures s’il avait travaillé normalement) au cours du mois d’août, après avoir effectué 121,75 heures. Il demande le paiement d’heures supplémentaires estimant qu’il devait être tenu compte des 84,7 heures de congé annuel payé pour déterminer le nombre des heures travaillées, et notamment le dépassement du seuil des heures supplémentaires fixé par la convention collective à 184 heures. Il demandait donc le paiement au taux majoré de 22,4 heures.

La CJUE considère que les « invitations à renoncer au repos ou à faire en sorte que les travailleurs y renoncent sont incompatibles avec les dispositions du droit à congés payés », notamment si le fait de prendre du repos conduit à une rémunération moindre. Elle constate ensuite que la non prise en compte des congés payés conduit à ce que le salarié perçoive une rémunération inférieure à celle qu’il aurait touché s’il avait effectivement travaillé, et donc que cette disposition conventionnelle est une invitation à renoncer au repos… Elle est donc contraire au droit européen.

Sur cette question, le droit français, et l’interprétation jurisprudentielle qui en est faite est donc contraire au droit européen.

Rappelons que les heures supplémentaires se décomptent dans le cadre hebdomadaire. Lorsqu’est mis en place un dispositif d’aménagement du temps de travail sur une période de référence supérieure à la semaine, les heures supplémentaires sont décomptées à l’issue de cette période de référence (article L.3121-41 al 1 du code du travail).

Ainsi, si la période de référence est annuelle, constituent des heures supplémentaires les heures effectuées au-delà de 1 607 heures (article L.3121-41 al 3 du code du travail). Si les congés payés devaient désormais être pris en compte pour le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, à tout le moins les 4 semaines protégées par le droit européen, ce seuil de 1607 heures devra alors être abaissé de 140 heures, et les heures effectuées au-delà de 1467 heures constitueront des heures majorées au titre des heures supplémentaires.

Notre droit positif risque-t-il d’être modifié sur ce point ? La directive n’a pas d’effet direct horizontal et ne permet pas en conséquence au juge d’écarter une règlementation nationale incompatible avec ses dispositions lors d’un litige entre employeur et salarié. Toutefois, aucune disposition légale ne prévoit expressément que la période de congés payés n’est pas comptabilisée pour l’appréciation du seuil ouvrant droit à heures supplémentaires, bien que cela se déduise de l’architecture de la règlementation en la matière. Il pourrait alors y avoir une place pour la technique de l’interprétation conforme selon laquelle les juridictions des États membres sont tenues d’interpréter le droit national de façon à atteindre le résultat voulu par le droit communautaire.

Quoiqu’il en soit, le droit français n’est pas conforme au droit européen sur ce point, et des modifications législatives, ou simplement prétoriennes, pourraient intervenir dans l’avenir.

CJUE 13 janvier 2022, aff. C-514/20