La CJUE impose un décompte horaire du temps de travail
La Cour de Justice de l’Union Européenne s’est prononcée le 14 mai 2019, sollicitée par la Cour centrale espagnole dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, sur les exigences du droit européen relatives au décompte de la durée du travail (CJUE, 14 mai 2019, C55/18).
La question posée concernait le droit espagnol, à tout le moins l’interprétation qui en est faite par la jurisprudence, selon laquelle les employeurs doivent seulement tenir un registre des heures supplémentaires effectuées par les salariés, un bilan mensuel devant être communiqué en fin de mois à chaque salarié ainsi qu’à leurs représentants. Les syndicats espagnols faisaient valoir que cette interprétation était contraire au droit européen.
La Cour de justice rappelle l’existence d’un droit fondamental à une limitation de la durée maximale du travail ainsi qu’à des périodes de repos journalier et hebdomadaire (durée moyenne hebdomadaire de travail de 48 heures, repos quotidien minimal de 11 heures et repos hebdomadaire de 24 heures), droit consacré par la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne et précisé par la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 sur le temps de travail.
Elle constate que seule la détermination du nombre d’heures de travail quotidien permet de vérifier que les périodes minimales de repos journalier et hebdomadaire ont été respectées.
Elle conclut ainsi que « afin d’assurer l’effet utile des droits conférés par la directive sur le temps de travail et par la Charte, les États membres doivent imposer aux employeurs l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur.
Qu’en est-il du droit français ?
Un décompte horaire du travail est bien imposé par la législation française : l’article L.3171-2 du code du travail oblige l’employeur, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, à établirpour chaque salarié les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective. Un enregistrement par tous moyens doit être fait de façon quotidienne ainsi qu’un récapitulatif hebdomadaire (article D. 3171-8 du code du travail).
La violation de cette obligation fait l’objet d’une sanction pénale, mais surtout, elle conduit à une présomption en faveur du salarié lorsque celui-ci présente des éléments « de nature à étayer » sa demande. En effet, l’employeur est tenu de justifier les horaires réellement effectués en cas d’horaires individualisés ou en l’absence d’horaires collectifs, et s’il n’est pas en mesure de le faire les seuls éléments étayés apportés par le salarié suffiront à emporter la conviction du juge (Cass. soc. 24 novembre 2010, n°09-40.928).
En cas de forfait horaire, l’accord collectif autorisant la signature de conventions de forfait en heures, doit fixer les modalités de contrôle de la durée du travail.
C’est toutefois le cas des forfaits en jours, exclusifs d’un décompte horaire de la durée du travail, qui pourraient poser un problème au regard de la position ferme de la CJUE.
Toutefois, la signature d’une convention de forfait en jours est assortie de garanties, qui doivent être prévue par l’accord collectif autorisant ce type d’aménagement du temps de travail. L’accord doit notamment prévoir les modalités d’évaluation et de suivi régulier de la charge de travail. L’employeur doit également assurer un décompte annuel des journées et demi-journées travaillées. Mais la question du repos quotidien et du contrôle qui peut en être fait reste un peu en suspens.
Plusieurs arguments penchent toutefois en faveur d’une conformité des conventions de forfait en jours au droit européen :
En premier lieu, l’article 17 de la directive sur le temps de travail prévoit qu’il peut être dérogé au repos minimal comptabilisé en heures « lorsque la durée du temps de travail, en raison des caractéristiques particulières de l’activité exercée, n’est pas mesurée et/ou prédéterminée ou peut être déterminée par les travailleurs eux‑mêmes ».
En second lieu, la Cour de cassation considère les conventions en forfaits jours conformes aux directives européennes sur la durée du travail et à la charte des droits fondamentaux, lorsque les accords autorisant leur conclusion assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires (Cass. soc. 17 janvier 2018 n°16-15.124).
L’arrêt de la CJUE doit attirer l’attention sur la place prise par le « droit fondamental à la santé et à la sécurité au travail » et en conséquence à l’un de ses axiomes : le droit au repos, quotidien et hebdomadaire.
Il revient à l’employeur de mettre en place les outils adéquats afin de garantir ce repos, et il est certain que la jurisprudence confirmera une plus grande sévérité en cas de négligence, que ce soit au regard des documents de contrôle de la charge horaire quotidienne, ou à celui du respect des garanties conventionnelles en ce qui concerne les salariés en forfaits heures ou en forfait jours.