Une fausse accusation de harcèlement moral n’est pas une diffamation
L’article L.1152-2 du code du travail protège le salarié qui dénonce une situation de harcèlement. Ce dernier ne peut subir ni mesure discriminatoire, ni sanction et à fortiori il ne peut être licencié en raison de cette dénonciation.
La jurisprudence a précisé les limites de l’interdiction : ce n’est que lorsque le salarié dénonce de mauvaise foi une situation de harcèlement que l’employeur retrouve son pouvoir de sanction, notamment le droit de licencier le salarié.
Toutefois, la Cour de cassation donne un contour très restrictif à ce qu’il faut entendre par mauvaise foi : elle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce, et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis (Cass. soc., 7 févr. 2012, n°10-18.035). L’employeur doit supporter l’entière charge de la preuve : il doit non seulement prouver que les faits dénoncés ne sont pas établis mais encore que le salarié le savait (Cass. soc., 10 juin 2015, no 13-25.554).
Si la protection du salarié en cas de dénonciation de harcèlement est légitime, la levée de cette protection en cas de mauvaise foi est évidente.
En effet, une personne faussement accusée d’être un harceleur subit un véritable traumatisme, voit sa réputation entachée au sein de l’entreprise, du service ou de son équipe. On ne peut pas totalement échapper à l’adage « il n’y a pas de fumée sans feu » bien ancré dans notre histoire culturelle.
La victime de la fausse accusation peut alors être tentée d’assigner le menteur devant le juge civil pour obtenir réparation de son préjudice, ainsi que lui permet la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Pour rappel, une diffamation est une allégation ou imputation d’un fait non avéré qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne.
La première chambre civile de la Cour de cassation vient récemment de fermer la porte à cette voie de réparation.
En l’espèce, une salariée dénonce des faits de harcèlement de la part de deux de ses supérieurs hiérarchiques dans un courrier envoyé au DRH, avec copie au CHSCT et à l’inspection du travail.
Les salariés visés, estimant la dénonciation mensongère, saisissent alors le juge civil d’une action en diffamation, et obtiennent réparation devant ce dernier qui évalue le préjudice à 300 € pour chaque salarié.
La Cour d’appel de Paris retient que « si les articles L.1152-1 et suivants du code du travail ont instauré un statut protecteur au bénéfice du salarié qui est victime de harcèlement moral, ces dispositions n’édictent pas une immunité pénale au bénéfice de celui qui rapporte de tels faits au moyen d’un écrit, de sorte que son rédacteur est redevable, devant le juge de la diffamation, de la formulation de ses imputations ou allégations contraires à l’honneur ou à la considération des personnes qu’elles visent ».
La Cour de cassation rejette l’argument, estimant que « les exigences probatoires en matière de diffamation font obstacle à l’effectivité [de ce] droit (de dénoncer des agissements de harcèlement moral).
En effet, l’auteur présumé de diffamation peut s’exonérer en établissant sa bonne foi ou la vérité des faits invoqués. En outre, ainsi que le rappel la Haute juridiction « « la croyance dans l’exactitude des imputations diffamatoires ne suffit pas à reconnaître à leur auteur le bénéfice de la bonne foi »
L’admission de l’action en diffamation créerait ainsi une brèche importante dans la protection organisée par le code du travail en matière de harcèlement.
Si la voie de la diffamation est fermée, la Cour de cassation ouvre néanmoins dans l’arrêt celle de la dénonciation calomnieuse, à condition que la partie poursuivante établisse que le salarié avait connaissance, au moment de la dénonciation, de la fausseté des faits qu’il dénonce.
Cass. 1re civ., 28 sept. 2016, n° 15-21.823