Travail en équipes successives / détachement de travailleurs transfrontaliers… la délicate articulation
L’ordonnance n°2019-116 du 20 février 2019 a transposé en droit français la directive européenne 2018/957 du 28 juin 2018 qui prévoit la réglementation relative au détachement de travailleurs.
Cette directive avait pour objectif initial de traduire la volonté du législateur européen de renforcer la réglementation existante en matière de protection des droits des salariés détachés.
Parmi les nouvelles mesures instaurées on relève principalement une recherche d’égalité dans la structure de la rémunération des travailleurs détachés et locaux ou encore la création d’un nouveau statut pour les travailleurs détachés dits de « longue-durée ».
Ce statut retranscrit à l’article 3 de l’ordonnance de février 2019, permet de porter la durée du détachement à 12 mois avec une possibilité de proroger cette période de 6 mois supplémentaires « lorsque l’exécution de la prestation le justifie ».
L’allongement de cette période de détachement est loin d’être anodine. En effet, pendant cette période maximale prévue par la directive, le salarié détaché reste assujetti aux règlementations sociales définies par l’Etat d’origine.
Au-delà de ce laps de temps, et comme le précise le paragraphe n°9 de la directive européenne, l’ensemble des dispositions « qui s’appliquent obligatoirement aux travailleurs dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté » devront s’appliquer aux travailleurs détachés.
On notera tout de même deux exceptions :
- L’ensemble des procédures relatives à la conclusion et à la rupture du contrat de travail,
- Les régimes complémentaires de retraite professionnels.
L’une des formes d’organisation du travail dont l’articulation avec le détachement se présente comme étant particulièrement complexe est celle dite par « équipes successives » ou par « travail posté ».
Le travail en équipes successives permet notamment à l’employeur de passer outre certaines barrières journalières et hebdomadaires du temps de travail en organisant la prestation par roulement de deux équipes au minimum, sur des postes identiques, de manière continue ou discontinue.
La technique du travail posté a d’ores et déjà été appréhendée par la réglementation européenne via la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 qui définit, dans le cinquième paragraphe de son deuxième article, cette modalité de structuration d’exécution de la prestation.
La caractéristique principale du travail en équipes successives est la continuité de l’exécution du travail. En effet les sociétés qui recourent à cette organisation désirent avant tout ne pas arrêter le fonctionnement de la chaîne de production et des équipements l’accompagnant.
On retrouve notamment le travail posté dans les activités où un arrêt de la production aurait des conséquences économiques lourdes pour l’entreprise (comme la métallurgie) ou dans les activités où une suspension de la production pourrait avoir des conséquences d’ordre sécuritaire (comme dans l’industrie pharmaceutique).
A l’étude des champs d’activité que recouvre le travail en équipes successives, on s’aperçoit que cela ne concerne généralement pas les activités de production de court terme. Or, l’une des conditions sine qua non au recours à des travailleurs détachés est qu’ils soient affectés à la réalisation d’un travail temporaire.
Une limitation temporaire instaurée par l’Union européenne pour éviter le recours massif aux travailleurs détachés dans un objectif de dumping social agressif au sein de l’espace communautaire, où les écarts concernant les salaires médians et le niveau des prestations sociales sont importants entres les pays.
Le ministère du travail en France avait déjà analysé cette difficulté depuis quelques années. Dans une circulaire de la Direction générale du travail, en date du 5 octobre 2008 (Circulaire DGT 2008/17), il était précisé que le caractère temporaire du détachement devait s’apprécier au cas par cas.
La circulaire rajoute également à titre d’exemple qu’ « un employeur ne peut procéder au détachement d’équipes successives de salariés sur des postes permanents ». Effectivement un détachement sur des postes permanents deviendrait contraire à la raison d’être de ce dernier, mais c’est paradoxalement sur ce type de poste que s’applique prioritairement le recours au travail en équipes successives.
S’il est toujours possible pour l’employeur de recourir au détachement de travailleurs postés, ce dernier doit s’assurer qu’ils soient affectés à une mission nécessairement limitée dans le temps.
Et plus spécifiquement, il se doit d’être particulièrement vigilant sur la durée du détachement des travailleurs transnationaux affectés à une mission en France, sous peine de voir la règlementation sociale du pays d’accueil devenir applicable à ces derniers.