Barème Macron, fin de la polémique ?
La Cour de cassation a été saisie par les conseils de prud’hommes de Louviers et de Toulouse, d’une demande d’avis sur la conformité du barème Macron (article L. 1235-3 du code du travail qui encadre le montant des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse) à l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT, à l’article 24 de la Charte sociale européenne ainsi qu’à l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentale.
Les deux premiers textes prévoient le droit, pour les salariés injustement licenciés, à une réparation « adéquate » ou « toute autre réparation appropriée », et l’article 6§1 protège le droit à un procès équitable.
La question a été fortement controversée par les juridictions prud’homales depuis quelques temps. Sur 18 décisions rendues jusqu’à présent sur ce sujet par les conseils de prud’hommes, 6 ont fait application du barème (parfois avec réserves…) et les 12 autres ont écarté le barème au motif de son inconventionnalité.
Autant dire que l’avis de la Cour de cassation, rendu ce mercredi en formation plénière, était très attendu.
La question posée par les deux demandes d’avis portait en particulier sur la compatibilité aux normes internationales de la disposition prévoyant notamment, pour un salarié ayant une année complète d’ancienneté dans une entreprise employant au moins 11 salariés, une indemnité pour licenciement sans cause et sérieuse comprise entre un montant minimal d’un mois de salaire brut et un montant maximal de deux mois de salaire brut. Toutefois, c’est sur l’ensemble de l’article L.1235-3 du code du travail qu’a porté l’examen de la Haute juridiction.
Elle a tout d’abord admis la recevabilité des demandes d’avis. La question se posait puisque jusqu’à présent, la Cour de cassation refusait d’examiner la conventionnalité d’une disposition nationale dans le cadre de la procédure d’avis (avis du 7 mars 2018 n°17-70.039).
La formation plénière décide finalement que la question de la conventionnalité d’une disposition de droit interne peut faire l’objet d’une demande d’avis, à condition que son examen implique un contrôle abstrait ne nécessitant pas l’analyse d’éléments de faits relevant du juge du fond. Le contrôle de conventionnalité du barème répond aux conditions posées.
C’est une bonne chose. En effet, ainsi que le souligne la notice explicative, cette procédure permet d’apporter une réponse rapide à des questions juridiques nouvelles et d’assurer ainsi une unification de la jurisprudence.
Elle a ensuite considéré que le barème n’entrait pas dans le champ d’application de l’article 6§1 de la CEDH. S’appuyant sur la jurisprudence de la CEDH, elle distingue les dispositions d’ordre procédural et celles d’ordre matériel, seules les premières sont susceptibles d’être sanctionnées au titre du droit garanti par l’article 6§1. Ainsi, « les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, qui limitent le droit matériel des salariés quant au montant de l’indemnité susceptible de leur être allouée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ne constituent pas un obstacle procédural entravant leur accès à la justice, de sorte qu’elles n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 6 § 1 ».
Elle règle ensuite rapidement la question de l’applicabilité de l’article 24 de la Charte sociale européenne. Cet article n’a pas d’effet direct, et ne peut donc pas être invoqué lors d’un litige entre particulier. Cette question avait soulevé de nombreux débats, la voilà tranchée de façon lapidaire par la Haute juridiction.
En revanche, elle confirme que l’article 10 de la Convention n°158 est d’application directe.
Selon cet article, « si les organismes mentionnés à l’article 8 ( tribunal du travail, tribunal, commission d’arbitrage, arbitre) de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié́, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationale, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité́ adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée. »
Pour la formation plénière, le terme adéquat n’est pas synonyme de réparation intégrale. Le premier avocat général dans ses conclusions, souligne que « l’annexe 7 du manuel de rédaction des instruments de l’OIT indique, qu’en français, le terme « adéquat » est souvent employé dans le sens « d’approprié », pour signifier « adapté à un usage déterminé, ou encore, bien adapté, qui convient aux circonstances ». La Cour de cassation estime que le terme « adéquat » doit être compris comme réservant aux Etats une marge d’appréciation.
Par ailleurs, la haute juridiction rappelle la possibilité de réintégration du salarié et l’exclusion du barème en cas de licenciement nul, c’est-à-dire lorsque les droits des salariés ont été gravement violés. C’est donc l’ensemble du système d’indemnisation qui est examiné à l’aune du texte de l’OIT.
Au regard de ces deux motifs, la formation plénière conclut à la compatibilité du barème avec les dispositions de l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT.
La messe est-elle dite ?
L’OIT est d’ores et déjà saisie de la question, une condamnation du barème obligerait la chambre sociale de la Cour de cassation à revoir sa position.
Il sera également intéressant de lire les décisions des Cours d’appel de Paris et Reims qui devraient être rendues fin septembre, ainsi que les prochains jugements de Conseil de prudhommes. Il s’agit en effet d’un avis, qui donne la position de la haute juridiction, mais une résistance des juges du fond n’est pas exclue.
Avis n°15012 du 17 juillet 2019
Avis n°15013 du 17 juillet 2019