Pierre-Yves Verkindt
Monsieur Verkindt est Professeur de droit social, Co-Directeur du Master 2 Juriste de Droit social de l’Université Panthéon-Paris I et auteur du Rapport sur le Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail remis au Comité d’Orientation des Conditions de travail qui regroupe notamment les partenaires sociaux le 28 février 2014.
Monsieur Le Professeur, le CHSCT est devenu aujourd’hui une institution incontournable, comment expliquez-vous cette ascension ?
A mon sens, cette ascension s’explique par la convergence de plusieurs facteurs qui n’existaient alors pas en 1982 (ndlr : le CHSCT a vu le jour en 1982). J’en citerais trois :
- l’ampleur qu’ont prises les questions de santé et de prévention notamment en raison de la Directive communautaire (ndlr : Directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail) avec pour effet induit la découverte ou la redécouverte de l’obligation de sécurité de résultat,
- l’importance prise par la notion de conditions de travail qui dépasse désormais l’approche physique ou physiologique et inclut désormais une problématique relationnelle et organisationnelle ; la notion englobe aujourd’hui pratiquement tous les aspects de la vie de l’entreprise,
- un phénomène plus ponctuel en partie lié à l’importance prise par les troubles psychosociaux et les choix managériaux.
Ces trois facteurs ont convergé et ont été « cristallisés » par la Jurisprudence de la chambre sociale et de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation qui a donné toute sa force à la notion d’obligation de sécurité de résultat.
Le CHSCT dont les missions sont de prévenir et de contribuer à l’amélioration de la santé, de la sécurité et des conditions de travail des salariés est par conséquent devenu incontournable.
En qualité de conseil de grands groupes, nous sommes confrontés à des demandes d’expertises émanant du CHSCT de plus en plus nombreuses, et sur des projets très divers. Les frais d’expertise, qui sont imputables à l’employeur, s’avèrent souvent très élevés, ne pensez-vous pas que le législateur devrait encadrer ces frais et ainsi endiguer l’important contentieux qui en découle ?
Ma position sur l’expertise est claire. Il faut se souvenir que l’expert, payé par l’employeur est avant tout l’expert du CHSCT, qu’il ne se positionne pas à équidistance des parties intéressées.
Il est illusoire de chercher à encadrer législativement le montant des honoraires du cabinet d’expertise en fixant des barèmes. Les dossiers présentés au Ministère pour l’obtention de l’agrément comportent déjà des indications sur le tarif pratiqué par le cabinet ou la structure qui sollicite l’agrément.
Je verrais plutôt la solution à trois niveaux :
- la profession d’expert doit trouver le moyen de s’organiser,
- la pratique de l’agrément doit être maintenue et renforcée afin de permettre d’assurer un vrai contrôle des experts par les autorités en charge de l’agrément ce qui devrait pouvoir sanctionner les cabinets d’expertise en cas de défaillance (retrait ou non renouvellement de l’agrément),
- Il me semble enfin que l’action de l’expert devrait rester sous le contrôle du CHSCT et les règles devraient être modifiées pour permettre une fixation précise du point de départ de la mission.
Que pensez-vous de la demande faite par certains experts d’inscrire le burn out sur le tableau des maladies professionnelles ? (ndlr : certains experts demandent à ce que le burn out soit considéré comme une maladie « présumée » d’origine professionnelle).
Sur la partie gauche des tableaux des maladies professionnelles, les symptômes doivent être clairement identifiés. Je ne suis pas médecin mais l’épuisement au travail ne me paraît pas constituer en soi une pathologie mais il peut y conduire.
Nous sommes de plus dans l’attente de certains travaux dans le champ de la médecine du travail qui tentent d’identifier les marqueurs biologiques des facteurs de surcharge au travail. Ces travaux ne sont pas encore pleinement aboutis à ma connaissance.
La solution serait à mon sens de donner un peu plus de souplesse dans la reconnaissance du syndrome de burn out par le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). En effet, pour que le burn out (ou plutôt ses effets) soit reconnu comme une maladie professionnelle, le taux d’incapacité doit être aujourd’hui de 25 %, ce qui signifie que les symptômes doivent être suffisamment importants.
Une des alternatives à la reconnaissance du burn out comme maladie professionnelle serait dès lors d’abaisser baisser le taux d’incapacité en deçà de 25 % afin de permettre aux salariés souffrant de burn out de faire reconnaître leur maladie au cas par cas, par saisine du CRRMP. .
Interview réalisée par Julia Zein, Avocate, Cabinet Daempartners