La liberté d’organisation du travail, le télétravail et le droit au repos

Un salarié, chef de projet, travaillant deux jours par semaine sur site et trois jours en télétravail, se suicide sur le trajet entre son domicile et son lieu de travail, après avoir indiqué la veille à son psychiatre qu’il était épuisé par son travail. 

Ses ayants-droits saisissent le Conseil de prud’hommes en paiement de dommages-intérêts pour violation du droit au repos.

Ils font valoir que la charge de travail du salarié l’obligeait à travailler au-delà de l’amplitude légale, et le privant par conséquent des 11 heures de repos quotidien obligatoires. A l’appui de leurs prétentions, ils produisent notamment un rapport de l’inspection du travail retraçant ses heures de début et de fin de travail sur quelques jours non consécutifs, des mails adressés par le salarié en télétravail, ainsi que des relevés ponctuels d’heures d’arrivée et de départ du bureau. Ils estiment en conséquence que l’amplitude ainsi démontrée ne permettait pas au salarié de bénéficier de ses temps de repos quotidien.

L’employeur soulignait quant à lui le fait que le rapport de l’inspection du travail se fondait sur une amplitude horaire et non un temps de travail effectif, sans tenir compte des différentes pauses du salarié qui « débadgeait » dans la journée. Il fait valoir que le salarié disposait d’une grande liberté dans l’organisation de son travail, qu’il décalait de lui-même ses horaires de travail, notamment pour éviter les heures de pointe.

En appel, les juges déboutent les ayants-droits, considérant qu’« il n’est pas démontré la violation par l’employeur de la législation sur le droit au repos, alors que le salarié effectuait deux jours en télétravail à son domicile et conservait une liberté d’organisation de son temps de travail en fonction de ses déplacements en Île de France  (…). L’amplitude horaire entre le premier mail envoyé et le dernier, sans en connaître d’ailleurs la teneur pour savoir s’il correspondait à un travail effectif de sa part, ne permettait pas d’affirmer qu’il était en permanence à son poste de travail et qu’il ne bénéficiait pas normalement de ses repos quotidiens ».

L’arrêt est cassé par la Haute Juridiction. Elle rappelle que « la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l’Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l’employeur ».

En conséquence, la Cour de cassation juge que la cour d’appel a inversé la charge de la preuve en considérant que les éléments rapportés par les ayants droits étaient insuffisants pour justifier la preuve de la violation du droit au repos quotidien, alors qu’il appartenait à l’employeur de démontrer le respect de son obligation.

Ainsi, la liberté dans l’organisation du travail du salarié ou la situation de télétravail, n’entre pas en ligne de compte dans l’obligation qu’a l’employeur de s’assurer du respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire.

Cass. soc., 14 décembre 2022, nº 21-18.139