La limite du droit d’expression directe et collective

Selon les articles L.2281-1 à L.2281-3 du code du travail, les salariés bénéficient d’un droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail. Les opinions que le salarié émet dans l’exercice de ce droit, ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement.

Mis en place à titre expérimental par la loi n°82-689 du 4 août 1982, puis étendu par la loi n°86-1 du 3 janvier 1986, le droit d’expression directe et collective n’a pas connu pendant de longues années, l’effet espéré par ses promoteurs.

Un coup de pouce lui a été donné par la loi n°2015-994 du 17 août 2015, qui a intégré ce droit d’expression dans le champ de la négociation obligatoire sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie et les conditions de travail.

Il semble que dans un contexte de prévention des risques sociaux, de volonté d’amélioration des conditions de travail, les créations de groupe d’expression collective au sein des entreprises aient commencé à émerger dans le cadre défini par la loi. 

Si les décisions jurisprudentielles en matière de liberté d’expression individuelle des salariés sont nombreuses, celles concernant le droit d’expression directe et collective le sont moins. C’est pourquoi, la décision de la Cour de cassation du 21 septembre 2022 doit être soulignée.

En l’espèce, un salarié, cadre, est licencié pour faute grave pour avoir, au cours d’une réunion « expression des salariés loi Auroux » et donc en présence de la direction et de plusieurs salariés de l’entreprise, remis en cause les directives qui lui étaient données par sa supérieure hiérarchique et tenter d’imposer au directeur général un désaveu public de cette dernière. Il est licencié pour acte d’insubordination et attitude de dénigrement envers sa supérieure hiérarchique. L’employeur souligne que son attitude a provoqué l’altération de la santé de sa responsable, constatée par le médecin du travail peu après la réunion d’expression directe et collective.

La Cour d’appel approuve la décision de l’employeur, considérant que l’expression du salarié dépassait le cadre de son droit à la libre expression dans l’entreprise, et constituait une faute de nature à justifier son licenciement, la surcharge de travail qu’il invoquait ne l’exonérant pas de cette faute. 

La décision est censurée par la Cour de cassation qui souligne, dans le chapeau de l’arrêt, que « sauf abus, les opinions que le salarié émet dans l’exercice de ce droit (d’expression directe et collective), ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement.

Ainsi, comme pour la liberté d’expression, le droit d’expression trouve sa limite dans l’abus. Le contour de l’abus sera vraisemblablement identique : les propos ne doivent pas être excessifs, injurieux ou diffamatoires.

Qu’en serait-il si le salarié s’était écarté des thèmes définis par la loi ? En effet, selon l’article L.2281-2 du code du travail, « l’expression directe et collective des salariés a pour objet de définir les actions à mettre en œuvre pour améliorer leurs conditions de travail, l’organisation de l’activité et la qualité de la production dans l’unité de travail à laquelle ils appartiennent et dans l’entreprise. » 

Il parait toutefois difficile de sanctionner un salarié qui serait sorti de ce cadre lors d’un groupe d’expression institutionnalisé, alors qu’il peut librement s’exprimer (sauf abus) à titre individuel en vertu de sa liberté d’expression.

Une autre question reste en suspens : quelle sanction du licenciement prononcé pour des propos non abusifs du salarié ? En matière de liberté d’expression, liberté fondamentale, le licenciement abusif est sanctionné par la nullité (à condition que le salarié ait demandé cette nullité à titre principal cf. Cass. soc.,16 févr. 2022, no 19-17.871). 

La réponse dépend du lien construit entre liberté d’expression et ce droit d’expression directe et collective mis en place par le législateur.

Cass. soc. 21 septembre 2022 n°21-13.045 B