De l’équilibrisme de l’employeur en matière de harcèlement
La jurisprudence considère que, tenu d’une obligation de sécurité de résultat, l’employeur est responsable dès qu’un salarié est victime de tels agissements. C’est une responsabilité sans faute : l’absence de faute de sa part ne saurait l’exonérer de sa responsabilité (Cass. Soc. 21 juin 2006 n°05-43.914). Cette dernière est engagée quand bien même il aurait pris les mesures nécessaires pour les faire cesser (Cass. Soc. 3 février 2010 n°08-44.019).
En conséquence, dès lors que le harcèlement du salarié victime est judiciairement reconnu, la prise d’acte de ce dernier est nécessairement fondée (Cass. Soc. 3 février 2010 n°08.40.144) et emporte les conséquences d’un licenciement nul (Cass. Soc. 20 février 2013 n°11.26.560). La victime n’a pas à démontrer l’existence d’un préjudice, laquelle découle nécessairement du harcèlement moral constitué (Cass. Soc. 6 mai 2014 n°12-25.253). L’obligation légale de prévenir tout harcèlement et l’interdiction d’un harcèlement à l’encontre d’un salarié sont deux obligations distinctes, leur violation entraine en conséquence des préjudices différents qui ouvrent droit à des réparations distinctes (Cass. Soc. 6 juin 2012 n°10-27.694).
Pour l’employeur, il résulte de cette jurisprudence une obligation de sanctionner le salarié auteur de harcèlement moral. Le Code du travail précise d’ailleurs que tout salarié ayant procédé aux agissements de harcèlement moral est passible d’une sanction disciplinaire (art. L.1152-5 du code du travail). La sanction fait partie des mesures de prévention : arrêter les agissements de l’auteur afin de protéger au plus vite la ou les victimes, et mettre l’accent auprès de la communauté des salariés sur le caractère inacceptable d’un tel comportement. La rigueur de la jurisprudence relative au harcèlement dans l’entreprise témoigne suffisamment de la gravité du comportement incriminé.
Pourtant, et c’est là que la jurisprudence perd de sa lisibilité, l’arrêt du 22 octobre 2014 vient dire que l’employeur ne peut se retrancher derrière son obligation de prévention pour rompre immédiatement le contrat de travail, c’est-à-dire licencier l’auteur pour faute grave.
En l’espèce, l’employeur reprochait un harcèlement managérial à une salariée, animatrice développement des ventes dans un laboratoire pharmaceutique. Les juges du fond reconnaissent l’existence d’un management fautif en raison de l’attitude très autoritaire et inappropriée de la salariée à l’égard de ses subordonnés clairement établie ayant des répercussions sur l’ensemble de l’équipe. Toutefois, ils refusent la qualification de harcèlement. En effet, le harcèlement managérial n’est admis par la jurisprudence que si les méthodes de gestion fautives se manifestent pour un salarié déterminé, conduisant ce dernier à une dégradation de ses conditions de travail, une altération de sa santé, une atteinte à ses droits et à sa dignité ou compromettant son avenir professionnel. Mais la décision de la Cour de cassation est intéressante sur le deuxième dispositif en ce qu’elle vise les situations de susceptible de caractériser ou dégénérer en harcèlement moral : la sanction n’est pas nécessairement une faute grave, c’est-à-dire qu’elle n’empêche pas nécessairement le maintien du contrat de travail du salarié pendant la durée du préavis … le contrat peut donc perdurer pendant 6 mois s’agissant d’un cadre. Durant ce laps de temps, l’employeur sera alors contraint de prendre des mesures de sauvegarde pour protéger les salariés de ce management inapproprié, et cela au regard de son obligation de sécurité de résultat. Il devra également prendre garde à ce que lesdites mesures qui ne puissent pas être qualifiées de sanction disciplinaire s’il ne veut pas se voir opposer l’adage « non bis in idem » lors du licenciement pour cause réelle et sérieuse du salarié auteur.
Vis-à-vis des salariés victimes, l’employeur est responsable, mais vis-à-vis du salarié fautif l’employeur voit ses possibilités d’action sérieusement réduites.
Cass. Soc. 22 octobre 2014 n°13-18.862