La pénibilité au travail, un sujet «douloureux»
La pénibilité serait-elle donc inhérente à tout travail comme le laisserait à penser l’étymologie même du mot travail, qui évoque une situation de pénibilité ?
En tout cas, la question soulève suffisamment d’enjeux pour que le législateur ait décidé d’améliorer la prise en compte de la pénibilité au travail lors de l’élaboration de la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraite en instituant notamment le compte personnel de prévention de la pénibilité.
Les modalités de mises en œuvre de ce nouveau dispositif de prévention de la pénibilité ont été précisées par six décrets datés du 9 octobre 2014 (D. 2014-1159, 9 oct. 2014 : JO, 10 oct.), lesquels fixent les seuils d’exposition pour chaque facteur de risque professionnel.
Sur les 10 facteurs de pénibilité recensés, seuls quatre d’entre eux devront être pris en compte dès le 1er janvier 2015. Sont ainsi concernés le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes, le travail répétitif et le risque hyperbare. Les six autres facteurs ne s’appliqueront qu’à compter du 1er janvier 2016.
L’exposition du salarié à ces facteurs de risques doit être appréciée par l’employeur au regard des conditions habituelles de travail caractérisant le poste occupé, appréciées sur l’année et après application des mesures de protection collective et individuelle (C. trav., art. D. 4161-1 et D. 4161-3 nouveaux).
Ainsi à compter du 1er janvier 2015, en cas de dépassement des seuils d’exposition fixés par décret :
→ L’employeur devra obligatoirement établir une fiche de prévention des expositions pour chaque salarié concerné sous peine d’encourir une amende, étant précisé que l’amende est appliquée autant de fois qu’il y a de travailleurs concernés.
Cette fiche devra être transmise annuellement au salarié ainsi qu’à la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail.
→ Le salarié exposé à des facteurs de pénibilité bénéficiera d’un compte personnel de prévention de la pénibilité (CPPP) sur lequel il se verra créditer des points et qui le suivra tout au long de sa carrière professionnelle.
Le salarié pourra utiliser les points inscrits sur son compte pour financer soit :
- une formation permettant d’accéder à un poste moins exposé ou non exposé à la pénibilité,
- une réduction du temps de travail avec maintien du salaire,
- un départ anticipé à la retraite pour les salariés âgés d’au moins 55 ans.
La gestion du compte sera assurée par les organismes chargés des prestations d’assurance vieillesse.
Le financement de ce dispositif sera supporté par l’employeur sur la base de la mise en place de deux nouvelles cotisations patronales recouvrées par les URSSAF.
L’employeur pourra faire l’objet d’un contrôle de la part des organismes gestionnaires du compte et en cas de déclaration inexacte sur l’exposition à la pénibilité, il sera soumis à une régularisation de ses cotisations et encourra également une pénalité dans la limite de 50 % du plafond de la sécurité sociale pour chaque salarié pour lequel une inexactitude est constatée (C. trav., art. L. 4162-12 nouveau).
De même, en cas de désaccord du salarié sur l’ampleur de son exposition à la pénibilité avec son employeur, il pourra saisir ledit organisme d’une réclamation relative à l’alimentation de son compte, après avoir porté cette contestation devant son employeur (C. trav., art. L. 4162-14 nouveau).
Les différends portant sur les décisions prises par l’organisme gestionnaire pourront ensuite être portés devant le Tribunal des affaires de la sécurité sociale.
Ce nouveau système de prévention de la pénibilité au travail, vivement dénoncé par le patronat qui en réclame la suppression pure et simple en raison de sa complexité et du coût impliqué, suscite déjà des interrogations quant à son efficacité.
Il reste cependant pour le moins certain que la mise en place du CPPP risque de générer de nouvelles sources de contentieux et que ce procédé exige de la part des employeurs la réalisation d’un vaste travail de diagnostic afin d’identifier les types de postes ou de situations de travail susceptibles d’être exposés.
Si ce nouveau dispositif est a priori mal accueilli par les entreprises, il faut néanmoins rappeler que celui-ci pourrait bien leur profiter également, s’il est bien assumé. Depuis longtemps les taux d’absentéisme et de consommation de médicaments psychotropes sont dénoncés en France comme étant parmi les plus élevés d’Europe. En travaillant sur la pénibilité, les entreprises pourraient agir sur ces coûts certes indirects, mais toutefois bien réels qu’impliquent la pénibilité au travail : coûts de remplacement, d’organisation, d’augmentation des cotisations AM/ AT…et des contentieux qui y sont attachés.
I. Mathieu / F. Schoenewald
Avocats à la Cour