Plainte pénale, la prudence s’impose
En cas d’abus de confiance, d’escroquerie ou autre délit commis par un salarié au préjudice de l’entreprise, l’employeur peut être tenté de porter plainte, en même temps qu’il diligente une procédure de licenciement du salarié « indélicat ».
Plusieurs arrêts récents de la Cour de cassation recadrent l’articulation des deux procédures.
En premier lieu, lorsque les faits reprochés au salarié donnent lieu à l’exercice de poursuites pénales, l’employeur peut, sans engager immédiatement une procédure de licenciement, prendre une mesure de mise à pied conservatoire si les faits le justifient.
La mise à pied conservatoire permet alors de protéger les intérêts de l’entreprise en tenant le salarié à l’écart, pendant la durée des investigations. La cour de cassation décide que 7 semaines de mise à pied conservatoire n’est pas une durée excessive « au regard de la complexité des investigations diligentées dans le cadre d’une enquête pénale » (Cass. soc. 6 octobre 2016 n° 15-15465).
A contrario, si l’affaire n’est pas si complexe, la mise à pied à titre conservatoire doit donc être écourtée quand bien même l’enquête serait toujours en cours ? L’appréciation de la durée juridiquement admissible de la mise à pied à titre conservatoire semble être assez aléatoire. Pourtant les conséquences sont importantes : il en va de la légitimité de la prise d’acte de rupture. Le salarié peut donc obtenir des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors que l’enquête pénale révèlera éventuellement son implication dans des délits commis au préjudice de l’employeur ….
Il convient également d’être attentif à la procédure pénale : une enquête préliminaire n’emporte pas la suspension de la prescription des faits fautifs. Il en est de même pour une plainte simple.
En effet, si aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois, l’article L.1332-4 du code du travail précise néanmoins que ce délai est interrompu par l’exercice de poursuites pénales. La cour de cassation précise que « l’ouverture d’une enquête préliminaire, qui n’a pas pour effet de mettre en mouvement l’action publique, n’est pas un acte interruptif du délai » (Cass. soc. 13 octobre 2016, nº 15-14.006 FS-PB).
Ainsi, les « poursuites pénales » au sens de l’article L.1332-4 du code du travail sont synonymes de « mise en mouvement de l’action publique ». Cette dernière peut être mise en œuvre par le procureur de la république (notamment par la saisine du juge d’instruction, ou d’une juridiction de jugement) ou par la victime elle-même, par une citation directe ou dans certaines conditions, plainte avec constitution de partie civile.
En conséquence, si un licenciement doit intervenir pour des agissements qui font également l’objet de « poursuites pénales », il est fondamental de se tenir au courant de l’avancement desdites poursuites afin de veiller à ne pas se trouver forclos pour la procédure de licenciement.
Enfin, rappelons que si le salarié est relaxé au pénal, le juge civil ne pourra pas en principe valider un licenciement en raison des faits pour lesquels le salarié a été relaxé : la chose jugée au pénal s’impose au juge civil (Cass. soc. 12 octobre 2016 n°15-19.620).
Toutefois, cette autorité du pénal sur le civil ne s’attache qu’aux faits jugés. Ainsi, Ainsi, la cour d’appel qui a retenu que les faits formulés dans la lettre de licenciement étaient pour partie distincts de ceux ayant donné lieu aux poursuites pénales sous la qualification de vol, a exactement décidé que le jugement de relaxe intervenu de ce chef ne s’imposait pas à elle (Cass. soc., 28 mai 2013, n° 12-12.681)..
Attention, si l’infraction est reconnue par le juge pénal, cela n’empêche pas le juge civil d’apprécier la gravité de la faute au regard de l’exécution du contrat de travail. Ce n’est pas parce que le salarié est reconnu coupable de vol que le juge prud’homal n’a pas la possibilité de disqualifier le licenciement pour faute grave en cause réelle et sérieuse, voire ne pas retenir la faute ! Ainsi, nonobstant l’infraction de falsification de factures retenue par le juge pénal à l’encontre du salarié, les juges civils peuvent considérer que l’employeur, qui était l’instigateur de ces agissements, ne pouvait se prévaloir de ceux-ci pour les imputer à faute au salarié (Cass. soc., 1er déc. 2010, n° 09-65.369).