Prévention des risques et document unique : et si les risques les plus onéreux étaient oubliés ?
La tenue et la mise à jour régulière du document unique de prévention des risques est une obligation légale de l’employeur, assortie de sanctions pénales (contravention de 5ème classe – article R4741-1 du code du travail, soit une amende de 1 500€ pour la personne physique et/ou 7500€ pour la personne morale).
La jurisprudence en déduit que cette obligation n’est pas subordonnée à la preuve d’un risque déterminé (Cass. soc., 8 juillet 2014, nº 13-15.470 FS-PB).
Dans le droit fil de l’obligation de sécurité, qui trouve une effectivité à condition du strict respect de l’obligation de prévention, la loi exige la tenue de ce document unique de prévention qui témoigne de la recherche effective des différents risques existant dans l’entreprise et les moyens mis en place pour les éviter, ou les minimiser.
La défaillance de l’employeur a un coût non négligeable notamment en matière d’accident du travail. Par exemple, l’employeur est pénalement responsable lorsqu’un salarié décède suite à une chute en présence d’un document unique d’évaluation des risques sans mention du risque de chute en hauteur. Cela constitue une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qui ne pouvait être ignoré (Cass.crim, 6 sept 2016, n°14-86.606).
Lorsque la responsabilité de la personne morale et/ou de la personne physique est engagée, les répercussions sur l’image de la société, son actionnariat, sa clientèle sont considérables.
Toutefois, la santé physique n’est pas seule en jeu, la santé mentale doit également être protégée. Aussi, la question des risques psychosociaux doit être abordée dans le document unique de prévention.
On le sait la notion de risques psychosociaux est un kaléidoscope où se juxtaposent harcèlement moral, harcèlement sexuel, violences, agressions, incivilités, stress, burn-out, etc…
Chacun de ces risques peut générer une altération mentale qui, lorsque l’origine professionnelle est reconnue, est qualifiée comme maladie professionnelle.
On se souvient que la question de la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle a été récemment d’actualité au parlement. Il était question d’abaisser le taux d’incapacité permanente partielle nécessaire à son admission à 10 % ( au lieu de 25 %). La question reste actuellement en suspens, notamment en raison de la difficulté de discerner en la matière l’origine professionnelle de la maladie de sa cause d’ordre personnel et familial. Toutefois, il ne serait pas surprenant que le sujet revienne à l’ordre du jour.
Si la maladie psychique est consécutive à un harcèlement, moral ou sexuel, ou toute autre violence interne reconnue par le juge du travail, elle sera alors admise au régime des maladies professionnelles.
Actuellement, la CPAM mène des enquêtes au cas par cas et 13% des arrêts de travail liés à un risque psychosocial ont été qualifiés de maladie professionnelle, en 2017, contre 6% en 2016 (Baromètre Atéquacy et Singer novembre 2017).
Rappelons que cette reconnaissance est un facteur de coût pour l’entreprise.
Outre ce surcoût, une démarche de prévention se justifie à bien des titres.
Ainsi, la responsabilité de l’employeur pourra être mise en cause en cas de réalisation du risque, donnant lieu à une rupture du contrat de travail, et mettre le coût de la rupture à la charge de l’entreprise.
Lorsqu’il s’agit de discordes ou violences ponctuelles, les jugements font rarement allusion à la prévention que l’employeur aurait pu mettre en place… à moins qu’un climat délétère ait régné depuis un certain temps au sein d’une équipe.
Dans ces cas, c’est en amont des difficultés qu’il est demandé à l’employeur de mettre en place des mesures pour remédier à une situation de souffrance. Dès lors qu’un diagnostic était possible, les juges reprocheront à l’employeur son inaction.
Ainsi, dans une espèce où une salariée a exprimé une situation de souffrance, puis fait l’objet d’arrêts de travail avant d’être déclarée inapte par le médecin du travail, les juges du fond ont considéré que les courriers ainsi que le départ concomitant de membres de l’équipe constituaient « des éléments objectifs qui permettaient de diagnostiquer un risque ». Les juges du fond lient son inaptitude aux conditions de travail en s’appuyant sur l’avis du médecin qui déclare qu’un reclassement est possible « sur un autre site », la rupture du contrat de travail est donc prononcée aux torts de l’employeur ( Cour d’appel d’Aix-en-Provence , du 12 novembre 2015 confirmée par Cass. soc. 8 juin 2017 n°16- 10.458).
De la même manière, l’employeur qui a laissé sur une très longue période se développer au sein de son établissement des manifestations racistes à l’encontre d’un salarié, doit être également condamné sur le fondement de son obligation de sécurité (CA Montpellier 9 décembre 2009 n°09-2316).
Augmentation du taux AT/MP, voire reconnaissance d’une faute inexcusable, coût de la rupture du contrat de travail… et si le coût le plus important était le coût humain. Une organisation pathogène ne peut pas constituer une bonne entreprise….