Que devient la gravité de la faute face à l’ancienneté ?
Un arrêt récent de la Cour de cassation (Cass. soc. 19 mai 2016 n° 14-28.245) retient l’attention sur le point particulier de la prise en considération de l’ancienneté face à la faute grave.
Un salarié, après avoir été mis à pied accuse son supérieur hiérarchique de l’avoir frappé violemment … l’accusation est mensongère. L’employeur le licencie pour faute grave.
Les juges du fond constatent que l’accusation est bien mensongère, et la faute nuisible au bon fonctionnement de l’entreprise, mais eu égard à l’ancienneté du salarié, cette faute ne doit pas être qualifiée de grave. Le salarié avait une ancienneté de trois ans !
Les juges retiennent que cette ancienneté justifiait à elle seule que le contrat de travail soit maintenu pendant la durée du préavis. La faute ne pouvait donc être qualifiée de grave.
Cette décision appelle plusieurs commentaires :
Une ancienneté de deux ans aurait –elle pesé de la même façon sur la gravité de la faute ? Où est donc la limite …
Jusqu’à présent, lorsque les juges pondéraient la gravité de faute avec l’ancienneté, il s’agissait de salariés avec une ancienneté beaucoup plus grande, soit de l’ordre d’une dizaine d’années.
Signe des temps ? La durée moyenne des contrats de travail dans les entreprises s’est-elle tant réduite que la perception qu’ont les juges de l’ancienneté en est radicalement modifiée ?
La Cour de cassation a abandonné son contrôle sur les décisions des juges du fond en matière de faute grave (Cass. soc. 25 septembre 2013 n°12-16.168 et 12-19.464). Dès lors, elle se limite à un seul un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. Erreur qui n’est pas retenue en l’espèce. Selon la formule consacrée, les juges de la chambre sociale retiennent qu’ « exerçant les pouvoirs qu’elle tient de l’article L. 1235-1 du code du travail, la cour d’appel a décidé que cette fausse accusation constituait une cause réelle et sérieuse de licenciement ». Il s’agissait en l’occurrence de la Cour d’appel de Reims. La Cour d’appel de Chartres, ou toute autre Cour d’appel, aurait pu décider que l’ancienneté n’était pas suffisante pour déqualifier la faute grave, cautionnée également par la Cour de cassation.
Notons que, outre l’ancienneté, les fonctions occupées, d’éventuels précédents disciplinaires et l’attitude de l’employeur sont autant de facteurs pouvant modifier l’appréciation de la gravité de la faute…appréciation donc tout à fait variable et subjective selon les Cours d’appel.
A l’heure où le législateur recherche une plus grande sécurité juridique, notamment en ce qui concerne les licenciements économiques, la qualification de la faute grave n’en donne pas beaucoup, si on prend en compte des éléments de pondération variables en valeur et dans l’espace…sans compter que l’ancienneté d’un salarié peut jouer en sa faveur … ou en sa défaveur.
Certes, l’appréciation de la faute grave par les juges comporte nécessairement une part de subjectivité. Cette dernière augmente considérablement si les facteurs pris en compte tel que l’ancienneté sont eux même particulièrement subjectifs.
Cass. soc. 19 mai 2016 n° 14-28.245