Astreintes, l’importance du délai d’intervention

Selon l’article L.3121-9 du code du travail « une période d’astreinte s’entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise. »

L’astreinte n’est pas un temps de travail effectif, durant lequel le salarié se tient à la disposition de son employeur sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles.

En conséquence, durant l’astreinte, le salarié pouvoir disposer d’une certaine liberté pour ses occupations personnelles, mais être capable d’intervenir à la demande de son employeur. Le temps d’astreinte induit donc une liberté relative du salarié.

Aussi, la sujétion imposée ne doit pas conduire à restreindre trop sévèrement la liberté du salarié, ce dernier pourrait être alors considéré comme étant à « disposition immédiate et permanente » de son employeur et le temps d’astreinte encourt alors la qualification de temps de travail effectif.

Le délai d’intervention agit ainsi comme un curseur, en témoigne un arrêt récent de la Cour de cassation.

Dans cette affaire, un salarié engagé comme dépanneur, devait assurer des astreintes de 15 jours pour intervenir sur une portion délimitée d’autoroute, durant lesquelles, il devait « se tenir en permanence ou à proximité immédiate des ou dans les locaux de l’entreprise, en dehors des heures et jours d’ouverture, afin de répondre sans délai à toute demande d’intervention ». A cette fin, il était muni d’un téléphone et intervenait à la demande d’un dispatcheur affecté à la réception continue des appels d’urgence.

Un contentieux se noue et le salarié saisit le juge prud’homal d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail. Il demande, entre autres, le paiement d’heures supplémentaires, considérant que ses astreintes devaient être requalifiées en temps de travail effectif. Il fait valoir à cette fin que le délai immédiat d’intervention qui lui était imposé ne lui laissait pas le temps pour vaquer à ses occupations personnelles.

La Cour d’appel rejette sa demande, estimant que le salarié était bien en période d’astreinte. 

La Cour de cassation, s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de Justice Européenne (CJCE), infirme la décision des juges d’appel. 

En effet, dans deux affaires du 9 mars 2021, la CJCE relève de la notion de « temps de travail effectif, au sens de la directive 2003/88, l’intégralité des périodes de garde, y compris celles sous régime d’astreinte, au cours desquelles les contraintes imposées au travailleur sont d’une nature telle qu’elles affectent objectivement et très significativement la faculté, pour ce dernier, de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts » (CJUE, 9 mars 2021, aff. C-344/19, CJUE, 9 mars 2021, aff. C-580/19).

Reprenant l’interprétation de la CJCE, la Cour de cassation casse la décision d’appel, considérant qu’« en se déterminant ainsi, alors que le salarié invoquait le court délai d’intervention qui lui était imparti pour se rendre sur place après l’appel de l’usager, sans vérifier si le salarié avait été soumis, au cours de ses périodes d’astreinte, à des contraintes d’une intensité telle qu’elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels n’étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles, la cour d’appel a privé sa décision de base légale. »

Ainsi, les conditions concrètes d’exécution de l’astreinte sont déterminantes pour la qualification du temps d’astreinte. Entrent en jeu, en premier lieu le délai d’intervention, mais la fréquence des interventions, les conditions d’exécution de l’intervention (revêtir un vêtement spécial par exemple, disposer d’un véhicule prioritaire…) sont des facteurs qui peuvent faire varier l’évaluation de « l’intensité » des contraintes auxquelles sont assujettis les salariés lors de leur astreinte. 

Cass. soc., 26 octobre 2022, nº 21-14.178