Heures supplémentaires, l’épreuve de la preuve…

Le contentieux des heures supplémentaires alimente régulièrement la jurisprudence. Le nombre de demandes en la matière pourrait augmenter d’ailleurs, en vue de compenser les limites d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse imposées par le barème Macron.

Or, le droit probatoire dans ce domaine, en principe neutre, peut s’avérer très favorable au salarié dans les faits, surtout si l’employeur n’a pas mis en place un système rigoureux de comptabilisation du temps de travail.

Rappelons en premier lieu que l’article 1353 du code civil fait peser la charge de la preuve sur le demandeur lorsqu’il en réclame l’exécution et réciproquement sur le débiteur lorsqu’il prétend en être libéré. Ce principe général s’applique, en principe, au droit du travail.

Toutefois, le droit du travail est construit sur la protection du salarié, du fait de sa subordination à l’employeur. Aussi, le code du travail aménage, dans tous les domaines du droit du travail, les règles de preuve, afin de rétablir une égalité des armes et garantir un procès équitable.

Ainsi, s’agissant des heures supplémentaires, la règle a été assouplie par l’article L.3171-4 du code du travail. Selon ce texte, la charge de la preuve est répartie entre demandeur et défendeur : « En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. »

La Cour de cassation a donc considéré que le salarié devait étayer sa demande (Cass. soc. 25 février 2004 no 01-45.441) en produisant des éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés afin de permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments (Cass. soc. 24 novembre 2010 no09-40.928).

Sous l’influence de la jurisprudence européenne, la Cour de cassation a par la suite abandonné la notion « d’étaiement » considérant que cette dernière pouvait être source de confusion avec celle de « preuve ». Elle a donc préféré le verbe « présenter » à celui d’étayer, afin que les juges du fond n’exigent pas du salarié qu’il prouve ses heures supplémentaires.

Le salarié doit désormais non pas étayer mais « présenter » des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments » (Soc., 18 mars 2020, pourvoi n° 18-10.919)

Le salarié peut ainsi fournir des documents qu’il a lui-même établi. Ainsi, comme le confirme la Cour de cassation, le principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même ne s’applique pas (Cass. soc. 18 septembre 2013, n°12-10.125). Et le fait que ces documents produits aient été établis durant la procédure prud’homale ou  a posteriori importe peu (Cass. soc. 12 avril 2012 n°10-28.090, Cass. soc. 29 janvier 2014 n° 12-24.858).

La logique de ces règles probatoires s’appuie sur le fait que l’employeur a l’obligation légale de contrôler les heures de travail effectuées par ses salariés lorsqu’ils ne travaillent pas selon le même horaire collectif. Il doit, au titre de l’article L.3171-2 du code du travail, établir les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Ainsi, l’employeur est censé être dans une position favorable et, pour assurer un équilibre dans la charge de la preuve, il suffira que le salarié présente des éléments factuels au juge, qui formera alors sa conviction.

D’ailleurs, l’arrêt du 18 mai 2020 a été interprété comme la volonté d’une meilleure prise en compte par les juges du fond des éléments fournis par l’employeur au regard des obligations de contrôle des temps de travail qui lui incombe légalement.

Récemment, la Cour de cassation a précisé, dans un arrêt du 27 janvier 2021 n°17-31.046, le contrôle qu’elle exerçait sur la notion d’ « élément suffisamment précis ».

En l’espèce, un salarié technico-commercial avait saisi le CPH d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail ainsi que d’une demande de paiement de diverses sommes, notamment le paiement d’heures supplémentaires.

La Cour d’appel avait rejeté ses demandes en matière d’heures supplémentaires en relevant que, si le décompte produit par le salarié indiquait, jour après jour, les heures de prise et de fin de service, ainsi que de ses rendez-vous professionnels avec la mention du magasin visité, le nombre d’heures de travail quotidien et le total hebdomadaire, sa précision était insuffisante faute de mentionner la prise éventuelle d’une pause méridienne.

L’arrêt d’appel est cassé et la Cour de cassation en profite pour expliquer, dans sa note explicative jointe à l’arrêt, que la précision des éléments produits par le salarié doit être examinée au regard de l’article 6 du code de procédure civile, relatif à l’obligation d’alléguer les faits nécessaires au succès des prétentions, qui organise le débat judiciaire, et non au regard de l’article L. 3171-4 du code du travail, relatif à la preuve des heures travaillées. « Cette précision n’est ni de la même nature, ni de la même intensité que celle qui pèse par ailleurs sur l’employeur dans le cadre de son obligation de contrôle de la durée du travail » et ne peut avoir pour effet de faire peser la charge de la preuve sur le seul salarié, ni de contraindre ce dernier à indiquer les éventuelles pauses méridiennes qui auraient interrompu le temps de travail.

Elle relève d’ailleurs que la charge de la preuve concernant la prise des temps de pause incombe à l’employeur (Soc., 20 février 2013, n° 11-21.848 et 11-21.599), comme tous les seuils et plafonds, prévus tant par le droit de l’Union européenne que par le droit interne.

Les éléments fournis par le salarié étaient donc suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre.

En revanche, le salarié qui se contente de réclamer un nombre d’heures supplémentaires mensuelles sans aucune justification de son activité ne présente pas des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies, afin de permettre à l’employeur d’y répondre en produisant ses propres éléments (Cass. soc. 10 mars 2021 n° 19-19.031).

La Cour de cassation a ainsi pu considérer que de simples tableaux édités dans Word récapitulant les heures supplémentaires, non vérifiables sachant que travaillant à domicile, le salarié n’était pas contrôlé dans ses heures de travail et de pause, constituent un document suffisamment précis permettant le jeu de la preuve partagée (Cass. soc. 8 juillet 2020 n°18-26.385).

Finalement, dès lors que le salarié présente un décompte horaire, peu importe qu’il ait été établi après la rupture du contrat de travail, il apporte des éléments « suffisamment précis ».

Étant donné ces règles de preuve et l’admission large des éléments apportés par le salarié, dans le nouveau contexte judiciaire induit par le barème Macron, il est indispensable de mettre en place un système fiable de contrôle de la durée du travail, ainsi que des procédures strictes pour l’accomplissement d’heures supplémentaires.

La situation actuelle de généralisation du télétravail augmente considérablement le risque juridique si l’employeur fait preuve de légèreté quant à ses obligations de comptabilisation de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective.

Seuls les forfaits jours échappent à ces obligations de décompte, mais il est alors primordial de suivre rigoureusement les obligations permettant de garantir des durées raisonnables de travail et des plages minimales de repos.

A défaut, le forfait jours sera annulé, le salarié pourra demander le paiement d’heures supplémentaires pour les trois dernières années, et l’employeur se retrouvera sans moyen pour établir les horaires fait par ce salarié, durant une période où il était par hypothèse en forfait jours.