Interview Monsieur Jacquiot, Médiateur de justice

Monsieur Jacquiot, quelles sont pour vous les qualités d’un médiateur ?

Les qualités d’un médiateur sont avant tout à mon sens le respect de la déontologie : être impartial, indépendant, être un tiers neutre et bien sûr respecter notre obligation de confidentialité.

Le médiateur doit savoir être à l’écoute, être dans l’empathie, mais savoir également prendre suffisamment de hauteur pour ne pas être affecté par ce qu’il entend qui peut souvent être lourd, et qui pourrait l’éloigner de son impartialité.

La médiation, bien qu’introduite en France en 1995 n’est pas encore très plébiscitée, comment expliquez-vous ces réticences ? Serait-ce un problème de coût ?

Je dirais que le véritable tournant de la médiation en France remonte à la Directive européenne de 2008 qui a étendu la médiation judiciaire en matière civile et commerciale.

Ce qui a été un frein au tout début de cette extension en matière civile, et notamment en droit du travail, a été la réticence même de certains magistrats qui avaient l’impression qu’ils n’étaient plus maîtres du dossier, ainsi que les avocats qui se sentaient dépossédés de leur rôle. Pourtant, en réalité, le rôle du médiateur est bien complémentaire à celui de l’avocat et du juge, la médiation est un outil supplémentaire de résolution des conflits.

Le coût que représente une médiation a pu être un problème car certains avocats estimaient alors que les frais afférents à la médiation allaient nécessairement impacter leurs honoraires.

Ce coût est par ailleurs, oserais-je dire, un gage de réussite dans la recherche d’une solution amiable : le caractère payant de la médiation induit une implication des parties. Ce n’est pas le cas de la conciliation judiciaire, gratuite quant à elle, et au cours duquel j’ai pu constater que les parties ne fournissaient que peu d’efforts, se disant certainement qu’en tout état de cause la conciliation était gratuite.

Enfin, j’aimerais rappeler que si ce coût peut paraître élevé pour certains, il est justifié : la médiation implique du temps, le temps de comprendre la réalité de l’autre de l’autre afin de tenter d’arriver à un accord.

La médiation porte en outre ses fruits puisque 70% d’accords ont pu être trouvés en médiation proposée par les juges de la Cour d’Appel de Paris, l’an dernier sur environ 285 dossiers traités.

L’accord de médiation est bien l’aboutissement d’une vraie construction avec les parties, offrant une résolution du litige à leur satisfaction de chacun, le temps passé est donc nécessaire.

La médiation conventionnelle (ndlr : avant tout litige et par opposition à la médiation judiciaire), initialement prévue dans le cadre de conflits collectifs ou de harcèlement est désormais ouverte pour tout différend relatif au contrat de travail, qu’est-ce que cela change en pratique pour les entreprises ?

L’employeur pense à tort ne pas pouvoir tirer profit de la médiation conventionnelle lorsqu’il rencontre un problème avec un ou plusieurs salariés alors qu’en réalité cela lui permet bien souvent d’éviter une procédure contentieuse longue et onéreuse. La médiation permet de rétablir le dialogue social et par voie de conséquence la confiance ce qui aboutit à un gain de temps et d’argent.

En outre, la rupture des relations de travail n’est pas toujours la solution, et la médiation permet de se rendre compte qu’une autre palette de solutions s’offre à l’employeur.

L’entreprise s’y retrouve également d’un point de vue financier, la médiation conventionnelle permet bien souvent d’éviter une condamnation parfois importante.

Enfin, et souvent, la médiation conventionnelle permet d’intervenir sur de réels problèmes de management qui seraient bien souvent susceptible de dégénérer en situation de harcèlement ou de stress chronique, situations très douloureuses, irréversibles et financièrement préjudiciables

La médiation ne fait-elle pas doublon avec la conciliation ?

Je considère, comme beaucoup, que le Conseil de Prud’hommes en matière de conciliation n’est qu’une chambre d’enregistrement pour obtenir une date de jugement. Seuls 5 ou 7 % des audiences de conciliation permettent d’aboutir à un accord, et ce, parce que les avocats se sont mis d’accord avant. C’est un triste constat mais très compréhensible : il est impossible de se mettre d’accord en 10 ou 15 minutes, aucun dialogue constructif n’est possible en aussi peu de temps.

Cette absence totale de réussite est d’autant plus dommage que la symbolique du Conseil de Prud’hommes est la poignée de main, et qu’au début de leur mise en place, de très nombreuses affaires se résolvaient au moyen de la conciliation.

Il existe également à mon sens un réel problème dans l’équation prud’homale puisque le bureau de conciliation amené à concilier pourra être celui qui devra juger par la suite.

La médiation et la conciliation sont en outre deux outils totalement différents puisque lors de la conciliation, seule l’aspect financier est abordé alors que la médiation permet non seulement de trouver un terrain d’entente sur l’indemnisation financière mais également sur la compréhension mutuelle des parties et la réparation non pécuniaire de leurs préjudices moraux.

Quelles sont selon les-vous les spécificités de la médiation en droit du travail ? Pour quel type de dossier la médiation devrait être privilégiée ?

Tous les dossiers relatifs au droit du travail peuvent faire l’objet d’une médiation.

Il y a en effet souvent beaucoup d’affect dans ce domaine où la dimension humaine est très présente. On évoque très peu la souffrance de l’employeur, notamment de petites ou moyennes structures face à l’action prud’homale d’un salarié.

Cette dimension humaine est donc globale en droit du travail, et la médiation y trouve tout son intérêt.

Je dirais qu’il n’y a pas de type de dossier pour lequel la médiation doit être privilégiée : même des dossiers d’apparence purement techniques revêtent souvent un aspect humain.

On peut en outre imaginer beaucoup de dossiers et souvent à procédure multiples, impliquant la résolution d’un différend ou litige en droit du travail, mais également liés à d’autres procédures annexes en droit des sociétés ou en propriété industrielle. La médiation permet alors de régler en une fois tous ces aspects.