AT/MP : le projet de LFSS pour 2024 limite la casse en cas de faute inexcusable de l’employeur

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 (déposé le 27 septembre 2023 à l’Assemblée Nationale et renvoyé à la commission des affaires sociales), prévoit une modification de l’indemnisation des accidents du travail et maladies professionnelles (AT/MP) qui prend acte d’un récent revirement jurisprudentiel.

Rappelons en premier lieu les grandes lignes de cette indemnisation.

La réparation des AT-MP est fondée sur une logique forfaitaire, indépendamment de toute faute établie de l’employeur. 

Les victimes sont indemnisées des frais de santé et des arrêts de travail sur une base plus favorable que l’indemnisation en maladie ordinaire. En outre, en cas d’incapacité́ permanente, la victime bénéficie soit d’une indemnité́ en capital (incapacité permanente inférieure à 10%), soit d’une rente viagère (incapacité́ permanente supérieure ou égale à 10%). 

En cas de faute inexcusable de l’employeur, la responsabilité de ce dernier peut alors être engagée. La victime peut obtenir devant la juridiction compétente, une majoration de sa rente (L452-2 du code de la sécurité sociale) et la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales qu’elle a endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle (article L.452-3 du code de la sécurité sociale).

Pour mémoire, la faute inexcusable est reconnue lorsque l’employeur « a manqué à son obligation de sécurité alors qu’il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, sans qu’il ait pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ».

Jusqu’à un revirement retentissant du 20 janvier 2023, la Cour de cassation considérait que la rente versée à la victime indemnisait non seulement la perte de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité mais également le déficit fonctionnel permanent.

La notion de déficit fonctionnel permanent regroupe, outre les troubles dans les conditions d’existence, l’atteinte aux fonctions physiologiques, la perte de la qualité de vie et les douleurs permanentes (donc après la consolidation, c’est-à-dire la stabilisation de l’état de la victime (Cass. 2ème Civ., 28 mai 2009, n° 08-16.829). La motivation principale de la Haute juridiction était de prévenir une double indemnisation.

Afin d’obtenir une réparation complémentaire du préjudice causé par des souffrances physiques et morales, il appartenait alors à la victime d’apporter la preuve que celui-ci n’était pas indemnisé au titre du déficit fonctionnel permanent…démonstration difficile.

Par deux arrêts du 20 janvier 2023, la Cour de cassation est revenue sur cette jurisprudence. Elle a décidé que désormais « la rente versée à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent. Dès lors, la victime d’une faute inexcusable de l’employeur peut obtenir une réparation distincte du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées » (Cass. Ass. Plén. 20 janvier 2023, n° 21-23.947 et n°20-23.673).

En cas de reconnaissance d’une faute inexcusable, le risque financier pour l’employeur est susceptible de s’accroitre significativement.

C’est cette jurisprudence que consacre le PFLSS pour 2024 dans son article 39.

Il prévoit désormais qu’en cas d’incapacité permanente égale ou supérieur à un taux minimum, la victime a droit à une rente forfaitaire composée de deux parts : 

– une part, dite professionnelle, correspondant à la perte de gains professionnels et à l’incidence professionnelle de l’incapacité. Elle est égale au salaire annuel modulé, multiplié par le taux d’incapacité. Le salaire annuel modulé est égal à une fraction du salaire annuel de la victime ou du salaire annuel minimum mentionné à l’article L. 434‑16, dégressive en fonction du niveau de ce salaire. Le taux d’incapacité peut être réduit ou augmenté en fonction de la gravité des lésions et de l’atteinte portée aux perspectives de la victime sur le marché du travail ;

– une part, dite fonctionnelle, correspondant au déficit fonctionnel permanent de la victime. Elle est égale à une fraction du taux d’incapacité multipliée par une valeur de point d’incapacité fixée par un barème qui tient compte de l’âge de la victime.

Le projet définit donc le caractère dual de la réparation en introduisant explicitement le principe d’une réparation du déficit fonctionnel permanant en droit commun des AT/MP. 

En effet, depuis le revirement de la Cour de cassation, la rente viagère n’était plus censée réparer le déficit fonctionnel permanent.

Par ailleurs, en cas de faute inexcusable de l’employeur, la rente versée sera majorée au titre de la partie professionnelle (au maximum : salaire annuel x taux d’incapacité), et la part du déficit fonctionnel également. 

Ainsi, le projet prévoit une indemnisation plus large du déficit fonctionnel des victimes d’AT/MP, puisqu’elle ne dépendra plus d’une faute inexcusable de l’employeur. 

En revanche, en cas de reconnaissance d’une faute inexcusable, (environ 3000 décisions/an) l’indemnisation du déficit fonctionnel sera limitée à la formule prévue par le texte, alors que les victimes pouvaient en obtenir une réparation intégrale devant le juge.

L’étude d’impact explique à cet égard que la jurisprudence de la Cour de cassation a eu un impact financier important non seulement sur les finances de la sécurité sociale mais également sur celles des employeurs reconnus responsables : 

« Les employeurs reconnus responsables d’une faute inexcusable portent seuls la charge financière du préjudice non économique correspondant au déficit fonctionnel permanent. Une estimation basse de ce coût annuel est de 118 M€ environ (coût du seul préjudice du déficit fonctionnel permanent évalué sur la base des actions en faute inexcusable de l’employeur jugées en 2022). Toutefois, ce coût augmentera si les procédures en faute inexcusable se multiplient. »

Il était donc question de limiter l’impact du revirement jurisprudentiel.

La disposition est encore à l’état de projet, qui doit être revu par la commission des affaires sociales puis débattu au parlement. 

PFLSS pour 2024