Licenciement : coexistence d’un motif disciplinaire et d’une insuffisance professionnelle

L’insuffisance professionnelle, c’est à dire l’incapacité du salarié à mener correctement ses missions, n’est pas une faute disciplinaire car elle ne relève pas de la volonté du salarié. Parfois, la frontière entre faute disciplinaire et insuffisance professionnelle peut être floue, du fait même du critère de comportement volontaire utilisé par la jurisprudence.

Néanmoins, si l’employeur se place sur le terrain disciplinaire pour licencier un salarié et que les juges considèrent que les griefs reprochés ne présentent pas de caractère volontaire, donc fautif, le licenciement sera alors dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Toutefois, l’employeur peut invoquer dans la lettre de licenciement des motifs disciplinaires et des motifs relevant de l’insuffisance professionnelle à condition qu’ils procèdent de comportements distincts.

Un arrêt récent nous donne un exemple. 

En l’occurrence, le directeur d’une maison familiale rurale est licencié pour faute grave. La lettre de licenciement invoque d’une part une insuffisance professionnelle relevant des insuffisances et carences dans ses fonctions de direction, et d’autre part des comportements managériaux inappropriés constitutifs de harcèlement moral (propos violents, ironie blessante, humiliations publiques) ayant généré une souffrance au travail des salariés.

La cour d’appel estime que les faits dénoncés ne caractérisent pas un harcèlement moral, mais retient en revanche l’insuffisance professionnelle sur le fondement des éléments produits.

« il ressort suffisamment des pièces produites la réalité d’insuffisances manifestes, s’agissant notamment des élections tardives des délégués du personnel, l’absence de soutien des formateurs notamment et pour exemple, le refus de venir en soutien d’un formateur pour notifier à une famille le renvoi d’un élève ayant frappé un enseignant qui a dégénéré en injures, ou encore un défaut de communication sur des décisions contestées de suppression de filières de formation et de projets pédagogiques, ou encore une insuffisance de soutien pédagogique et de formations pour les enseignants, un défaut de reconnaissance du travail accompli pointé par l’ensemble des salariés, autant d’éléments établissant des manquements de l’appelant à sa lettre de mission et qui caractérisent une insuffisance professionnelle justifiant le licenciement de l’appelant pour cause réelle et sérieuse. »

Certains des éléments constitutifs d’insuffisance professionnelle pour la cour d’appel pourraient aussi être considérés comme volontaires et donc comme autant de fautes disciplinaires.

Le pourvoi reprochait ainsi à la cour d’appel de ne pas avoir suffisamment caractérisé en quoi les deux motifs, disciplinaires et non disciplinaires, procédaient de comportements distincts.

Il faisait également valoir que le licenciement avait été disciplinaire or comme il n’y avait pas de faute disciplinaire, les juges ne pouvaient retenir une insuffisance professionnelle.

Il n’est pas suivi par la Cour de cassation qui rappelle que l’employeur, à condition de respecter les règles applicables à chaque cause de licenciement, peut invoquer dans la lettre de licenciement des motifs différents de rupture inhérents à la personne du salarié, dès lors qu’ils procèdent de faits distincts.

Elle constate que la cour d’appel a examiné les deux cas de licenciement visés par la lettre de licenciement, et retenu que, si le grief disciplinaire n’était pas établi, celui fondé sur l’insuffisance professionnelle était démontré, et que le licenciement avait donc une cause réelle et sérieuse.

Cass. soc. , 17 janvier 2024, n°22-19.733