Les accords de performance collective, issus des ordonnances Macron du 22 septembre 2017, visent à permettre aux entreprises de s’adapter rapidement aux fluctuations du marché en négociant des mesures dans trois domaines limitativement énumérés par l’article L2254-2 du code du travail :
– l’aménagement du temps de travail des salariés ;
– l’aménagement de leur rémunération ;
– la détermination des conditions de mobilité professionnelle ou géographique au sein de l’entreprise.
L’accord doit être mis en place « pour répondre aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise » (un champ très large donc) ou afin de préserver ou développer l’emploi. La loi n’exige pas que l’entreprise subisse des difficultés économiques, même si celles-ci constituent un argument fort pour inciter les partenaires sociaux à négocier un accord. Juridiquement, la simple nécessité de fonctionnement de l’entreprise ou la préservation de l’emploi suffisent à conclure un APC. L’objectif du législateur était d’offrir à l’entreprise la possibilité d’améliorer sa compétitivité tout en maintenant le dialogue social.
Un tel accord peut donc modifier le contrat de travail des salariés dans trois domaines (rémunération, durée du travail, mobilité géographique et professionnelle), leur capacité de résistance étant très amoindrie. En effet, les stipulations de l’accord se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail des salariés qui en acceptent l’application. Les salariés qui la refusent peuvent être licenciés pour un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse et selon la procédure de licenciement pour motif personnel (article L 2254-2, III et V du code du travail). Ainsi, l’employeur échappe aux règles du licenciement économique et à l’obligation de reclassement.
Les partenaires sociaux sont donc garants pour les salariés des objectifs annoncés de l’APC, d’autant plus qu’il n’y a pas d’intervention de l’administration comme pour un PSE. Pour cette raison, un des points de vigilance de la jurisprudence naissante se fixe sur la loyauté des négociations.
Ainsi, la Cour d’appel de Nancy, dans un arrêt du 6 février 2023 (n°21/03031), a considéré que si l’APC pouvait être signé dans une forme dérogatoire en raison de l’absence de délégués syndicaux, la négociation devait alors respecter les termes de l’article L. 2232-29 du code du travail qui prévoit que :
La négociation entre l’employeur et les membres de la délégation du personnel du CSE (…) se déroule dans le respect des règles suivantes :
1° Indépendance des négociateurs vis-à-vis de l’employeur ;
2° Élaboration conjointe du projet d’accord par les négociateurs ;
3° Concertation avec les salariés ;
4° Faculté de prendre l’attache des organisations syndicales représentatives de la branche.
La cour d’appel constate que « les salariés n’ont été à aucun moment de la négociation consultés et sollicités, par l’intermédiaire de la direction ou de leurs représentants ». Elle invalide l’accord en conséquence, rappelant que « la validité d’un tel accord, au regard des enjeux d’une portée considérable s’agissant des salariés, doit donc être appréciée en s’assurant du respect scrupuleux des règles de négociation (…) ».
Le tribunal d’instance de Paris, dans une affaire en date du 20 juin 3023 (TJ Paris, 20 juin 2023, n° RG 22/04785) a également annulé un APC en raison de la déloyauté des négociations.
En l’espèce, la direction avait mené une négociation sur un accord de méthode avec les deux syndicats en présence dans l’entreprise en vue de la signature d’un APC. Par la suite, seul le syndicat majoritaire avait été invité à poursuivre les négociations en vue de la signature de l’accord, le syndicat minoritaire ayant dit ne pas vouloir signer. L’accord est signé avec le seul syndicat majoritaire.
Le Tribunal constate l’existence de négociations séparées, conclut à la déloyauté des négociations et annule l’APC.
La décision est dans le droit fil de la jurisprudence qui considère que la nullité d’un accord collectif est encourue si tous les syndicats représentatifs n’ont pas été convoqués à sa négociation, ou si l’existence de négociations séparées est établie, ou encore s’ils n’ont pas été mis à même de discuter les termes du projet soumis à la signature en demandant, le cas échéant, la réouverture des négociations jusqu’à la signature de l’accord.
Un deuxième point mérite une attention particulière : la date d’engagement de la procédure de licenciement du salarié ayant refusé la modification de son contrat de travail.
Selon l’article L.2254-2 du code du travail, « le salarié dispose d’un délai d’un mois pour faire connaître son refus par écrit à l’employeur à compter de la date à laquelle ce dernier a informé les salariés, par tout moyen conférant date certaine et précise, de l’existence et du contenu de l’accord, ainsi que du droit de chacun d’eux d’accepter ou de refuser l’application à son contrat de travail de cet accord.
L’employeur dispose d’un délai de deux mois à compter de la notification du refus du salarié pour engager une procédure de licenciement (…) ».
La cour d’appel de Toulouse, dans un arrêt du 23 juin 2023 (n°21/01577) a considéré qu’un licenciement hors délais privait l’employeur d’invoquer une cause de licenciement « sui generis »
Un dernier point demeure en suspens : un APC peut-il conduire à des suppressions d’emplois ?
Pour la cour d’appel de Nancy (cf.supra) « un accord de performance collective ne peut avoir pour objet ou pour effet de supprimer des postes, s’agissant uniquement d’aménager les conditions de travail, concernant la durée et l’organisation du travail, la rémunération et la mobilité́ professionnelle et géographique des salariés. Il convient donc que l’employeur, qui seul dispose des éléments probatoires, justifie du remplacement par de nouveaux salariés de l’ensemble des salariés licenciés pour n’avoir pas accepté la modification de leur contrat de travail. »
En effet, l’accord, qui peut être négocié pour répondre aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise, même en cas de difficultés économiques, ne peut pas conduire à contourner les règles du licenciement économique. Si in fine, il y a suppression d’emploi, le contournement de la législation relative au licenciement économique pourra être avéré.
Il appartiendra à la Cour de cassation de préciser ce point.
L’outil proposé par les ordonnances Macron est particulièrement intéressant pour adapter l’activité à une fluctuation économique imprévue ou circonstancielle, mais sa mise en œuvre doit faire l’objet d’une attention rigoureuse eu égard à la dérogation qu’il autorise vis-à-vis des droits des salariés.