Le 8 septembre 2016, un salarié a adressé un courrier à son employeur, pour dénoncer des faits de harcèlement moral commis à son encontre depuis 2012.
Après avoir fait procéder à une enquête relative aux faits de harcèlement moral dénoncés, l’employeur a, par une lettre du 22 septembre 2017, convoqué le salarié à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement, puis l’a licencié, selon une lettre du 18 octobre 2017, pour insubordination et comportement agressif.
Le 29 janvier 2020, soutenant avoir été licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral, le salarié a saisi la juridiction prud’homale pour faire constater la nullité de son licenciement.
Sur le fondement de l’article L.1471-1 du Code du travail, aux termes duquel, toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture, la Cour d’appel a constaté la prescription de l’action du salarié.
Pour la Cour d’appel, licencié le 18 octobre 2017, le salarié devait saisir la juridiction prud’homale pour contester la rupture de son contrat de travail avant le 18 octobre 2018.
La saisine de janvier 2020 était nécessairement irrecevable car prescrite.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel.
Pour la Cour de cassation, l’article L.1471-1du Code du travail qui fixe à 12 mois le délai pour contester la rupture du contrat de travail, exclut l’application de ce délai lorsque l’action repose sur un harcèlement moral.
En conséquence, pour la Cour de cassation les actions visant à contester un licenciement en raison de la dénonciation de harcèlement moral sont régies par la prescription de droit commun de 5 ans en application de l’article 2224 du Code civil.
Les contestations relatives à la rupture du contrat de travail portant sur des faits de harcèlement moral ne sont donc plus encadrées par l’article L.1471-1 du Code du travail.
Aubaine pour les salariés « retardataires » qui pourront dépasser une éventuelle prescription de 12 mois en invoquant opportunément une situation de harcèlement moral.
Cette hypothèse ne relève malheureusement pas du fantasme car bon nombre de salariés ont déjà pris pour habitude d’invoquer des situations de harcèlement moral, parfois sans le moindre élément concret, dans l’objectif de « déplafonner » les barèmes dits « Macron » de l’article L.1235-3 du Code du travail.
Il est fort à parier qu’avec cette jurisprudence, les cas seront amenés à se multiplier.
Cette position de la Cour de cassation est, en outre, une réelle porte ouverte à la multiplication des contentieux devant le Conseil de Prud’hommes.
S’il suffit à des salariés d’invoquer une situation de harcèlement moral pour échapper à la prescription des 12 mois pour contester la rupture de leur contrat de travail, nécessairement, les actions prud’homales vont se multiplier, qui plus est, pour des licenciements remontant à plusieurs années.
L’engorgement des Conseils de Prud’hommes, déjà réel et fort problématique pour le justiciable, risque donc de s’accentuer…
On peut enfin de poser la question de la gestion de ces contentieux par les employeurs. L’absence de limite temporelle va nécessairement complexifier la gestion de ces dossiers par les employeurs notamment d’un point de vue probatoire. Comment prouver les fautes du salarié 5 ans après les faits ? Si les supérieurs hiérarchiques du salarié ont quitté l’entreprise ? Si les mails ou les traces écrites n’ont pas été archivés ?
Cette position de la Cour de cassation doit donc amener les employeurs à repenser la gestion du contentieux, en procédant systématiquement, pour chaque licenciement, à un archivage minutieux et rigoureux et conserver ces preuves pendant 5 ans.
Cass. Soc. 9 octobre 2024, 23-11.360