Forfait jours, la Cour de cassation veille au suivi de la charge de travail…

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Une convention individuelle de forfait jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires (Cass. soc. 29 juin 2011 n°09-71.107, Cass. soc. 8 novembre 2017 n°15-22.758).

La loi n°2016-1088 du 8 août 2016 (loi travail El Khomri), a intégré les exigences jurisprudentielles.  Dorénavant l’article L.3121-64 précise que l’accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait jours doit déterminer :

  • Les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié,
  • Les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise,
  • Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion.

La Cour de cassation veille strictement au respect de ces exigences au nom du droit à la santé et au repos qui, le répète-t-elle, est au nombre des exigences constitutionnelles.

Malheureusement, le dynamisme des partenaires sociaux laisse à désirer et les conventions collectives de branche ne sont pas toujours mises en conformité avec ces impératifs.

C’est le cas pour deux conventions collectives de branche dont les dispositions relatives aux forfaits jours ont été considérées insuffisantes par la Cour de cassation dans deux arrêts du 5 juillet 2023.

Étaient en cause la convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire et la convention collective du commerce et de la réparation de l’automobile, du cycle et du motocycle.

La première prévoyait que :

  • l’employeur est tenu de mettre en place des modalités de contrôle du nombre des journées ou demi-journées travaillées par l’établissement d’un document récapitulatif qui doit notamment faire apparaître la qualification des jours de repos en repos hebdomadaire, congés payés, congés conventionnels ou jours de réduction du temps de travail ;
  • ce document peut être tenu par le salarié sous la responsabilité de l’employeur ;
  • les cadres concernés par un forfait jours doivent bénéficier chaque année d’un entretien avec leur supérieur hiérarchique, au cours duquel doivent être évoqués l’organisation du travail, l’amplitude des journées d’activité et la charge de travail en résultant.

La Haute juridiction estime qu’un tel accord n’institue pas de suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable. Il n’est donc pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé.

Le deuxième accord prévoyait quant à lui :

  • la charge de travail quotidienne doit être répartie dans le temps de façon à assurer la compatibilité des responsabilités professionnelles avec la vie personnelle du salarié ;
  • les entreprises sont tenues d’assurer un suivi individuel régulier des salariés concernés et sont invitées à mettre en place des indicateurs appropriés de la charge de travail ;
  • compte tenu de la spécificité du dispositif des conventions de forfait en jours, le respect des dispositions contractuelles et légales doit être assuré au moyen d’un système déclaratif, chaque salarié en forfait jours devant renseigner le document de suivi du forfait mis à sa disposition à cet effet ;
  • ce document de suivi du forfait doit faire apparaître le nombre et la date des journées travaillées ainsi que le positionnement et la qualification des jours non travaillés et doit rappeler la nécessité de respecter une amplitude et une charge de travail raisonnables ;
  • le salarié doit bénéficier, chaque année, d’un entretien avec son supérieur hiérarchique dont l’objectif est notamment de vérifier l’adéquation de la charge de travail au nombre de jours prévu par la convention de forfait et de mettre en œuvre les actions correctives en cas d’inadéquation avérée.

Là encore, la Cour de cassation estime que ces dispositions ne permettent pas à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable. Elles « ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié ».

Les conventions individuelles de forfait jours, adossées à ces conventions de branche seront en conséquence privées d’effets.

Les modalités pratiques d’un suivi effectif et régulier de l’amplitude et de la charge de travail sont donc essentielles : l’employeur doit pouvoir veiller aux risques de surcharges de travail du salarié et y remédier en temps utile.

Rappelons toutefois la possibilité pour l’employeur de remédier à l’insuffisance des dispositions conventionnelles sur le suivi de la charge de travail du salarié (article L. 3121-65 du code du travail). Il doit alors :

– établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées.

– s’assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;

– organiser une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.

Par un arrêt également du 5 juillet, la Cour de cassation valide les dispositions de la convention collective des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment du 12 juillet 2006 en ce qu’elle prévoit :

  • la mise en place d’un suivi régulier par la hiérarchie qui veille notamment aux éventuelles surcharges de travail et au respect des durées minimales de repos,
  • l’élaboration d’un document individuel par l’employeur ou le salarié, sous la responsabilité de l’employeur, permettant le suivi des journées et demi-journées travaillées, jours de repos et jours de congés (précisant la qualification du repos : hebdomadaire, congés payés, etc…),
  • ce document individuel de suivi doit permettre un point régulier et cumulé des jours de travail et des jours de repos afin de favoriser la prise de l’ensemble des jours de repos dans le courant de l’exercice.

Ces trois arrêts montrent l’importance de la mise en place d’un suivi effectif et régulier permettant de veiller aux risques de surcharge de travail et d’y remédier.

Cass. soc. 5 juillet 2023 n°21-23.387, n°21-23.222 et n°21-23.294