Création jurisprudentielle, le secteur géographique permet de donner un peu de souplesse au contrat de travail.
En effet, le lieu du travail est l’un des piliers du contrat de travail, aussi son changement nécessite l’accord du salarié, hors clause de mobilité.
Afin de ne pas paralyser les entreprises, la jurisprudence a admis dès 1998 qu’il y avait une sphère de mobilité autour du lieu de travail mentionné au contrat, et qu’un changement d’affectation au sein de cette sphère n’était pas une modification du contrat de travail (Cass. soc., 16 décembre 1998, n°96-40.227). Ainsi, la mention du lieu de travail dans le contrat a une valeur informative, à moins qu’il ne soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu (Cass. soc., 3 juin 2003, n°01-40.376).
Les conséquences de l’existence de cette sphère de mobilité sont importantes dans la mesure où le salarié ne peut s’opposer à une modification du lieu de travail au sein de ce fameux secteur géographique. Son refus pourra être une cause de licenciement, éventuellement pour faute grave selon les circonstances.
La détermination du périmètre du secteur géographique relève de l’appréciation des juges du fond. Il en résulte un certain flou qui ne permet pas aux parties au contrat de travail d’avoir une certitude sur l’étendue de leurs droits en cas de changement de lieu d’affectation.
En principe, les critères de détermination doivent être objectifs, c’est-à-dire ne pas dépendre des conditions de vie du salarié et donc des conséquences de la mutation. D’une manière générale, les juges prennent en compte la desserte de chacun des sites par les transports publics, la distance entre les deux sites, les conditions de circulation et la durée du trajet.
Ainsi, Pau et Tarbes, villes distantes de 40 km par autoroute ont été considérées comme relevant du même secteur géographique (Cass. soc., 12 déc 2012, n° 11-23762), en revanche Le Thillot et Saint Nabord, distantes de 30 km ne sont pas dans le même secteur géographique car reliées « par une route sur laquelle la circulation était parfois difficile en hiver » (Cass. soc., 12 juin 2014, n°13-15.139).
La notion de bassin d’emploi est également utilisée par les juges, mais elle n’est pas beaucoup plus claire. En général, un bassin d’emploi regroupe plusieurs cantons et présente une cohésion en matière d’infrastructures, de marché du travail et de mouvements économiques.
Pour le Conseil d’État, le secteur géographique s’apprécie eu égard à la nature de l’emploi de l’intéressé, de façon objective, en fonction de la distance entre l’ancien et le nouveau lieu de travail ainsi que des moyens de transport (CE, 23 décembre 2014, n°364616).
Un arrêt récent de la Cour de cassation souligne les critères déterminants pour définir le périmètre du secteur géographique.
Dans cette affaire, le contrat de travail d’une salariée est transféré d’une [Localité 5] à une [Localité 4]. Elle refuse la modification de son lieu de travail, et elle est licenciée pour faute grave.
Elle conteste son licenciement et fait valoir que le changement d’affectation était une modification de son contrat de travail, que l’employeur ne pouvait mettre en œuvre sans son accord.
Les juges du fond considèrent effectivement qu’il y a eu modification du contrat de travail dans la mesure où les deux lieux de travail n’étaient pas situés dans le même secteur géographique et jugent le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La Cour d’appel justifie sa décision en relevant que « la commune des [Localité 4] est distante de 35 kilomètres de [Localité 5] et n’est pas située dans le même bassin d’emploi, qu’au vu des horaires de travail, il est manifeste que le covoiturage est difficile à mettre en place, que l’employeur ne produit aucune pièce permettant de démontrer que les transports en commun sont facilement accessibles entre les deux communes aux horaires de travail de la salariée, et que l’usage du véhicule personnel en matière de fatigue et de frais financiers génère, en raison des horaires et de la distance, des contraintes supplémentaires qui modifient les termes du contrat. »
La Cour de cassation approuve les juges d’appel, tout en limitant à notre sens les éléments pris en compte par les juges d’appel : « En l’état de ses constatations relatives à la distance séparant les deux sites et aux moyens de transport les desservant, la cour d’appel, qui a fait ressortir qu’ils ne faisaient pas partie du même secteur géographique, en a exactement déduit, (…) que l’employeur avait commis une faute contractuelle en imposant un nouveau lieu d’affectation à la salariée et ne pouvait lui reprocher son refus d’intégrer le site sur lequel il avait décidé de l’affecter. »
A l’instar de la décision du Conseil d’État précitée, deux critères sont donc déterminants pour définir un secteur géographique : la distance séparant les deux sites et les moyens de transport les desservant.
Cass. Soc., 24 janvier 2024, n°22-19.752