Après la violation des durées de travail maximales (cf. notre article), la question du travail de nuit vient devant la Cour de cassation.
Plus précisément, il était demandé à la Haute juridiction si le manque de respect de l’obligation d’évaluer la santé des travailleurs de nuit causait nécessairement un préjudice au salarié sans qu’il ait besoin d’en démontrer l’existence pour en obtenir réparation.
En l’espèce, un salarié est (notamment) débouté de sa demande de dommages et intérêts en raison du non-respect par l’employeur de son obligation de lui faire bénéficier d’un suivi médical renforcé lié au travail de nuit, la cour d’appel estimant qu’il n’établissait pas la réalité et la consistance de son préjudice.
Il se pourvoit donc en cassation et fait valoir que, à l’instar de la violation des durées maximales de travail, le seul constat du non-respect des dispositions protectrices en matière de suivi médical renforcé pour travail de nuit ouvre droit à réparation, en vertu de la législation française et de l’article 9 de la directive 2003/88/CE, qui poursuit le même objectif de santé que les dispositions relatives aux durées maximales de travail.
La législation française prévoit, en effet, que les travailleurs de nuit doivent bénéficier d’un suivi individuel régulier de leur état de santé, dont la périodicité est fixée par le médecin du travail. Le non-respect des dispositions relatives au travail de nuit est sanctionné par une contravention de cinquième classe.
Quant au droit européen, les dispositions de référence en matière de durée du travail sont issues de la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail.
Rappelons que les dispositions d’une directive peuvent être d’application directe dans le droit des États membres si elles apparaissent, comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises.
C’est ainsi que l’article 6 de ladite directive prévoyant une durée moyenne hebdomadaire de travail maximale de 48 heures, comprenant les heures supplémentaires, a été jugé d’application directe. Le dépassement de ce plafond constitue en tant que tel une violation de l’article 6, sans qu’il soit besoin de démontrer l’existence d’un préjudice spécifique (CJUE, arrêt du 14 octobre 2010, Fuß, C-243/09).
En s’appuyant notamment sur ces motifs, la Cour de cassation décide désormais que le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à la réparation (Soc., 26 janvier 2022, pourvoi n° 20-21.636).
L’article 9, paragraphe 1, sous a) de la directive prévoit quant à lui que les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les travailleurs de nuit bénéficient d’une évaluation gratuite de leur santé, préalablement à leur affectation et à intervalles réguliers par la suite.
Doutant de la force juridique qu’il convient de donner à ces dispositions, la Cour de cassation renvoie à l’interprétation de la CJUE et lui pose donc deux questions préjudicielles :
1) L’article 9, paragraphe 1, sous a) de la directive 2003/88/CE remplit-il les conditions pour produire un effet direct et être invoqué par un travailleur dans un litige le concernant ?
2) Si oui, le défaut de respect des mesures adoptées par le droit national pour assurer l’évaluation de la santé des travailleurs de nuit, constitue-t-il en tant que tel une violation de l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/88/CE, sans qu’il soit besoin, pour obtenir une réparation, de démontrer en outre l’existence d’un préjudice spécifique qui en aurait résulté ?
En attente d’une réponse européenne, la démonstration de l’existence et de la consistance du préjudice lié au non-respect du suivi médical en matière de travail de nuit devra être faite pour pouvoir en obtenir réparation.
Cass. soc. 7 juin 2023, n°21-23.557